Fragments
Chez l’éditeur : Parce que même si nous nous sommes résolus à indiquer en page de titre le mot « nouvelle », nous trouvons que celui-ci ne sied pas convenablement à Fragments. Pas plus que son dérivé « micro-nouvelle ». C’est pour cela que nous parlons en 4e de couverture d’album photo sans image. Les trente-sept fragments de ce recueil sont autant de clichés – on ne fait évidemment pas allusion au sens péjoratif – du monde dans lequel nous vivons. Des instants de vie parfois plus que des histoires en tant que telles, comme si nous nous retrouvions l’espace d’un moment dans l’existence d’un autre.
Peut-être aussi, parce que nous voulons redonner envie aux lecteurs de lire des textes courts, format qui se prête formidablement bien au numérique, et que nous désirons présenter la « nouvelle » sous un jour nouveau.
En fait, Fragments est à la fois le meilleur titre et la meilleure description que nous puissions trouver.
L’éditeur Les éditions de Londres ainsi que le directeur de la collection East End, Jean-Basile Boutak, n’auraient pu trouver meilleurs mots pour présenter Fragments d’Olivier Chapuis, la toute première œuvre de cette collection. Avant toute chose, je remercie chaudement Jean-Basile qui m’a permis de découvrir gracieusement Fragments. C’est un très beau cadeau, vous pouvez me croire. Si vous en doutez, laissez-moi vous expliquer ci-après pourquoi ces Fragments m’ont touchée, et dans certains cas bouleversée
Ces neuf Fragments nous invite à porter notre attention sur 37 instantanés, ou clichés pour citer l’éditeur.
Olivier Chapuis égratigne d’une plume allègre et fine nos conduites sociales et sociétales. Tout y passe de notre quotidien intime : la vie de couple, les premiers émois sexuels, l’adultère, le divorce, l’enfance, la vieillesse, la maladie, la crainte de la mort. Certains textes font sourire, comme par exemple Pinson qui n’est autre que le petit nom donné à l’homme du couple, qui se demande bien quelle mouche a piqué sa copine pour qu’elle l’affuble d’un tel sobriquet. J’ai savouré. Le même sourire a fleuri sur mes lèvres avec Ma femme aussi, dialogue entre deux hommes : Arthur et Antonio quittés par leurs épouses. C’est bourré d’humour dont voilà un aperçu :
Ta femme et toi, vous vous entendiez plus très bien n’est-ce pas ?
Non, elle portait un sonotone. Entre nous, les dialogues de sourds étaient monnaie courante.
Libido met en scène un jeune garçon se préparant à son premier rendez-vous qui, il en est certain ne pourra le mener qu’à son dépucelage. L’auteur nous fait vivre les craintes d’ Arthur qui se bagarre avec sa libido se demandant s’il ne devrait pas s’occuper sérieusement de paupaul avant d’approcher de trop près sa copine. La chute est vraiment rigolote.
Fragments est du genre noir et ce n’est pas pour rien.
Le roman noir sait à merveille décortiquer le monde, le livrer sans fioriture dans ses plus vils instincts et attitudes. Fragments fait honneur au genre.
Il suffit de lire les deux premières textes pour tout de suite en être persuadé.
Avec Au naturel nous voilà en visite dans l’univers carcéral qui selon nos critères actuels est un petit paradis mais nous en sommes évidemment bien loin dans ce texte à l’humour noir. Un petit extrait pour le plaisir :
A l’époque il a fallu s’adapter ou disparaître. Ceux qui ont survécu ne supportent plus le goût du lait bio, de la salade sans additifs et tournent de l’oeil à la vue d’un arc-en-ciel.
La suivante m’a particulièrement séduite par son sujet de l’uniformisation de la société, le capitalisme ravageur par une multinationale dominante. J’y ai bien retrouvé ce qui, je l’avoue, me fait peur.
Les accros du shopping déprimaient. Les gastronomes aussi puisque les Ben’Jo fast food avaient quasi éradiqué toute autre forme de nourriture.
Vlan, un coup dans les gencives !
Olivier Chapuis aborde beaucoup de thèmes avec brio. Sa sincérité coule de chaque mots, chacune de ses phrases. Lorsqu’il parle de la situation des clandestins comme dans Etre , clandestins poursuivis aussi comme dans Asile avec un pygmée ou encore La balade des perdus l’histoire de cette mère seule avec ses deux enfants vivant dans un studio, bossant pour un salaire de misère qui a été dénoncée.
Autant de textes qui pointent ce qu’il y a de plus ténébreux, triste, résigné en chacun de nous : notre soumission, notre lâcheté, l’acceptation d’un sort pour ne pas en tenter un autre…et encore bien plus de sentiments que ces Fragments suscitent en nous. C’est une bonne chose.
Fragments est donc une lecture que je recommande plus que chaleureusement. Non seulement le style de l’auteur est au service du noir avec une technique hors paire mais en plus il est impossible que parmi ces 37 clichés vous ne soyez pas remués par la plus grande majorité d’entre eux.
Une bien belle entrée en matière pour la Collection East End.
Ebook sans DRM à 3 € 99 ( tous supports ) chez L’immatériel
Lisez une belle interview d’ Olivier Chapuis sur le site des Editions de Londres
La présentation par l’éditeur de Fragments sur le site