LaFacture_Jonas_KARLSONImaginez qu’un matin en relevant votre courrier vous recevez une facture de 600 000 euros ? C’est exactement ce qu’il se passe pour notre pauvre héros. Interloqué, il ne connaît pas le sigle utilisé sur ce courrier qui lui paraît cependant très officiel et il s’en va à son boulot à mi-temps dans un magasin de locations de vidéos. Ça le turlupine…sans doute s’agit il d’un attrape nigaud ou une erreur, usurpation d’identité peut-être ? Notre personnage n’a pourtant rien de particulier vivant modestement, n’ayant pas de famille, un copain très pingre et ce job. Non décidément ça ne peut pas être une vraie facture et même s’il y avait une erreur dans le montant…ça serait tout de même énorme.
Bien sûr lorsqu’on ne règle pas une facture dans les délais, les majorations tombent. Notre héros va appeler au numéro indiqué sur celle-ci et passer des heures en attente ( ça aussi on connaît ). Sa correspondante essaye tant bien que mal de lui faire comprendre que l’information est passée sur toutes les ondes, qu’il y a eu des spots télévisés, des affiches et que donc franchement sur quelle planète vit-il donc pour ne pas être au courant de cet impôt sur le bonheur ?!
Il est fauché, personne ne peut le dépanner d’une telle somme, il va tenter de négocier à la baisse cet impôt.
Je ne vais pas divulgâcher les péripéties que va vivre ce personnage.
Ce roman, traduit du suédois par Rémi Cassaigne, est relaxant et drôle. Au delà ce cette histoire rigolote, se profile une critique de la société et une belle philosophie de vie. Un roman détente attachant que je vous recommande pour garder le sourire.

Actes Sud

C’est bien plus qu’un roman sur la délinquance sexuelle et l’exclusion ; c’est un roman sur l’hypocrisie, la perte d’identité. A travers l’histoire de Kid, Russell Banks déroule devant nous un univers sans pitié, misérable, et méprisant, un monde fait de culpabilisation , de fausse pudibonderie, de perte de soi.
Kid, avec son bracelet electronique à la cheville ne comprendra qu’en toute fin de roman qu’il lui reste malgré tout encore 10 ans à vivre ainsi dans l’exclusion, ces 10 années de mise à l’épreuve pendant lesquelles il n’aura pas accès à un logement car il ne doit pas résider près des écoles ou lieu public, et de plus n’importe qui : futur employeur ou bailleur peut connaitre en un clic son passé et sa condamnation. Kid a grandi quasiment seul avec pour compagnie un iguane ( d’où la photo de couverture) Sa mère ne se préoccupant guère de lui, il a commencé à traîner sur le net, de fil en aiguille sur les sites pornographiques. Sa condamnation a trois mois de prison, il la doit à un traquenard suite à un chat avec une jeune fille. Rien n’était prémédité, il ne pensait même pas réellement à ce qu’il pourrait faire si l’occasion de présentait. Le vice est là, dans ce piège qu’on lui a tendu. Kid m’a énormément touchée, attendrie et attristée
A sa sortie de prison Kid n’a pas la choix, il va rejoindre la cohorte des laissés pour compte sous le viaduc. C’est là qu’un professeur de sociologie, énorme qui prend toute la place, va aller à sa rencontre pour l’interviewer . Qui est Kid aujourd’hui ? pourquoi a t il été condamné ? Mais Alamasse comme kid surnomme le prof est il vraiment ici dans ce seul but ? N’a t il pas lui aussi un secret, une maladie ?
C’est tout au long du roman aussi l’occasion de s’interroger sur la place que prennent les nouvelles technologies, sur la place que l’individu puni peut encore trouver dans un monde déshumanisé et hypocrite.

Actes Sud-10/ 2011 – 416 p- 23,40€
trad.Marianne Millon

Ce roman se situe à Madrid après les attentats du 9 novembre,et la robotique a gagné du terrain .Malgré toutes ces avancées, les meurtres atroces continuent .La police a recours aux appâts, hommes et femmes recrutés  souvent très jeunes et dans le cas de Diana, après un traumatisme.

Diana Blanco est le meilleur appât de Madrid. Elle se fait du souci pour Vera, sa soeur, futur appât. Ces appâts sont formés en jouant des pièces de Shakespeare dans lesquelles les psychiatres ont décelé 50 phillias
En fait les appâts jouent des scènes que les psychopathes attendent, espèrent, qui les font jouir, les conduisant parfois à la mort. Pour ces flics, les pièces de Shakespeare représentent le psynome (le désir ) et la phillia ( variante au sein du psynome)  de chaque être humain. Combien d’appâts seront sacrifiés en partant sur les traces du Spectateur ? Diana se lance à sa poursuite, Vera est en danger.

Somoza a écrit un thriller psychologique captivant. Vous commencez à le lire et voilà que vous ne pouvez plus le lâcher. L’auteur étant psychiatre il n’est pas surprenant que ses romans regorgent de psychologie. Quel plaisir de suivre l’enquête et de frissonner ! Dans cet après-attentat, la police forme et utilise ses appâts les considérant avant tout comme des instruments et non plus comme des humains. Délaissant les machines qui ont montré leurs limites, les Appâts les remplace.

Décidément, avec La Dame numéro 13 , Clara et la pénombre, j’ai attrapé le virus José Carlos Somoza et je ne lutte même pas.

Actes sud- Babel n° 793
Mars 2007 , 567 p , 10 € 70
Trad. de Marianne Millon

 

L’histoire se déroule à Madrid. Un jeune homme, Salomon Rulfo, poète, fumeur et alcoolique fait le même cauchemar depuis plusieurs semaines. Dans celui-ci, il voit une grande maison blanche et lorsqu’il y entre une femme l’appelle. Il passe devant un grand aquarium et dans la chambre du haut il trouve le cadavre décapité d’une femme. Ce cauchemar est si terrible qu’il va voir un médecin ( Ballesteros) pour qu’il lui prescrive un somnifère. Cela fonctionne jusqu’à une nuit où s’éveillant il voit passer à la télévision les images de la maison dont il rêve. Dans cette émission est relaté l’assassinat sauvage d’une jeune italienne et de ses domestiques par un homme qui s’est ensuite donné la mort.
Il décide coûte que coûte de pénétrer dans la maison et arrivant devant se trouve nez à nez avec une jeune femme très belle, Raquel, immigrée sans papier livrée au pire des esclavages sexuels. Tous deux font le même rêve.
Quand ils sortent de la maison derrière une vieille photo ils ont trouvé un papier anoté ainsi qu’une sorte d’amulette.
Raquel ne semble pas avoir de souvenir mais un terrible secret pèse sur elle.
Rulfo va voir un ancien ami pour prendre conseil et celui-ci va commencer à lever le voile sur ce mystère de l’amulette et des dames citées dans le document
« Les dames sont treize : la N° 1 Invite, la N°2 Surveille, la N°3 Punit, la N°4 Rend fou, la N°5 Passionne, la N°6 Maudit…
– La N°7 Empoisonne, récitait le vieux, tandis que l’enfant lisait sans un seul murmure, sans une seule erreur. La N°8 Conjure, la N°9 Invoque, la N°10 Exécute, la N°11 Devine, la N°12 Connaît. Il s’arrêta et sourit. Ce sont les dames. Elles sont treize, elles sont toujours treize, mais on n’en cite que douze, tu vois ? … Tu ne dois en mentionner que douze, ne te risque jamais, même en rêve, à parler de la dernière. Pauvre de toi si tu mentionnais la treize ! Tu crois que je mens ? »

Peu à peu, ils découvrent la vérité sur les Dames …muses ? secte ? sorcières ? Elles sont au coeur des horreurs et des supplices les plus inimaginables à force de mots tirés des plus grandes poésies ( Shakeaspere, Neruda etc )
Les mots deviennent une arme redoutable, inéluctable.

 Je n’en dirais pas plus sur l’histoire qui est du début à la fin captivante, éprouvante, fantastique et superbement bien racontée malgré l’horreur de certaines scènes.

Certains pourraient penser que les citations de poètes sont rébarbatives, rassurez-vous ce n’est pas du tout le cas. Au contraire, à parier que comme dans L’Appât qui incite à (re-)lire  Shakespeare, vous serez tenté par la lecture de certaines poésies. En tout cas, c’est l’effet que ces lectures ont eu sur moi. J’aime vraiment beaucoup le style littéraire de Somoza, la façon de traiter son sujet qui, pour ma part, fait de lui un auteur quasiment inclassable et inégalable.

 

Qu’il est difficile de trouver les mots justes pour écrire sur Brothers. Ce roman de presque 700 pages est d‘une rare et précieuse intensité.

Yu Hua place le décors de son livre dans le bourg de Liu. Ainsi parcourons nous de la révolution culturelle à aujourd’hui, les rues du bourg de Liu et la transformation progressive de son paysage et de ses habitants

Song Gang et Li Guangtou sont demis-frères….Li Lan est la mère de Li Guangtou et Song Fanping celui de Song Gang. Le livre commence part une scène très drôle ( Rotko en a mis en extrait plus haut ).
Song Gang est discret, effacé face à Li Guangtou qui n’aime rien tant que saisir l’occasion de regarder en cachette les fesses des filles et jouer avec sa » libido « .
Tous les personnages sont décrits avec grand soin et auront leur importance tout au long de ce long roman.
Song Fanping, le père, est une force de la nature, un grand gaillard qui n’en reste pas moins un coeur doux et généreux qui par tous les moyens veut protéger sa famille. Il a un grand sens de l »honneur et des responsabilités. Li Lan , celle qui souffrit tant de son premier mariage découvre la tendresse, l’amour et la sérénité…Hélas voilà que la Révolution culturelle va bouleverser le petit bourg de Liu.

Ce passage est un raz -de- marée dans le bourg. La cruauté, l’avarice, la petitesse s’installent et les mots de Yu Hua sont terriblement justes. Ce n’est pas tant la dureté de certaines scènes que de se sentir emplie de compassion pour la détresse de certain(e)s qui m’ont fait pleurer comme une fontaine. Des scènes de violence, de dureté, de sang, j’en ai lues beaucoup mais aucune n’a pu (su) comme Yu Hua sait si bien le faire me prendre aux tripes et provoquer cette communion de lecteur avec les personnages.
Song Gang et Li Guangtou doivent grandir , se perdre et se retrouver. L’un s’efface, l’autre nourrit sa revanche. L’un subira toute sa vie les conséquences de promesses faites, l’autre en profitera sans vergogne.
Et puis finalement, le destin et l’acharnement vont avoir des résultats et provoquer des retournements pour les deux frères.

L’argent tient une grande place dans ce livre…son manque ou sa profusion, les conséquences d’un état comme l’autre sont profondes.

Et puis, les sentiments et non la sensiblerie car Yu Hua a su très bien contourner ces  » travers ».

C’est avec beaucoup de finesse, d’humour et d’émotion que Yu Hua s’exprime.

Si vous êtes rebutés par le langage brut , ce livre ne vous plaira peut-être pas mais pourquoi ne pas essayer ?

Voilà j’ai reposé le livre que j’avais emprunté à la bibliothèque. Je veux l’avoir dans ma propre bibliothèque, c’est un chef d’oeuvre …je suis étonnée qu’il ne soit pas encore adapté au cinéma.

Dans l’édition d’Actes sud les notes de fin de volume sont utiles à la compréhension du contexte historique et aux différentes allusions aux légendes et courant artistiques

 

Histoire de vous donner envie, un extrait en début de livre

De nos jours, des fesses de femmes nues, on en voit partout, à la télévision, au cinéma, dans les VCD ou les DVD,dans les publicités ou dans les magazines, sur les stylos à bille ou les briquets… Des postérieurs de toutes sortes, des postérieurs d’importation ou des postérieurs de fabrication chinoise ; des blancs, des jaunes, des noirs et des bruns ;des larges, des étroits, des gros et des maigres ; des lisses et des rugueux ; des jeunes et des vieux ; des faux et des vrais. On n’a que l’embarras du choix, et une paire d’yeux ne suffit pas pour tout regarder. De nos jours, les fesses d’une femme à poil, cela ne vaut plus rien : il suffit de lever la tête pour en voir une paire, on a à peine le temps d’éternuer qu’on tombe sur une deuxième, et on n’a pas sitôt tourné le coin de la rue qu’on risque de marcher sur une troisième. Mais en ce temps-là, il n’en allait pas de même. C’était un trésor que personne n’aurait échangé contre tout l’or du monde, et il n’y a qu’aux toilettes qu’on pouvait espérer en mater une.
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