Rivages Noir – N° 767 -240 p –
Paru le 17-03-2010 8.15 €

La quatrième de couverture :

Nyons, sud de la France. Amar l’Emir, petit garçon bravache et rêveur, fuit sa grande soeur Noria qui veut le serrer dans ses bras à la sortie de sa garde à vue. Au quotidien, Amar déambule entre les chantiers, l’école, la rue et l’appartement familial hanté par la folie d’un père harki brisé et ivrogne. En grandissant, les rêves d’Amar deviennent plus flous et les désillusions se précisent. Puis le temps s’emballe. Adulte, Amar revient à Paris, où personne ne l’attendait. Sa visite ne peut signifier qu’une chose pour le fils de Noria, qui veille celle-ci dans le labyrinthe infernal de l’hôpital…

Lorent Idir a grandi à Montreuil. Passionné de cinéma et de musique, il navigue entre culture urbaine et plus classique, rappe sur de petites scènes puis s’initie au slam. Son écriture très noire rappelle celle d’Abdel Hafed Benotman. Auteur d’un premier album (Un cheval sur le périphérique), il forme avec son fère le groupe Twin Twin et prépare une tournée.

Ce que j’en ai pensé :

J’ai noté que plus un livre me touche, plus j’ai du mal à en parler. J’ai juste envie de vous dire :  » Lisez-le, vous ne l’oublierez jamais « .

Plusieurs raisons à cela, la première, l’histoire d’Amar L’Émir et elle débute fort dans un cinéma où il assiste avec son oncle à une séance très spéciale. Résultat, ils se retrouvent au commissariat où on ne peut pas franchement dire que les flics soient sympathiques ni compréhensifs. Mettre les bracelets à un gosse, c’est tout de même ahurissant de cruauté. Pourtant Amar il  rêve :

Ils m’appellent Amar L’Émir, et moi, j’veux qu’tout le monde m’appelle commandant Cousteau

Le père d’Amar, Said Ben Bourriche  est un harki qui ne  parvenant à être identifié comme français va de dérives en dérives: alcoolisme, violences sur sa femme Zakia et ses enfants, exploitation d’Amar sur les chantiers. Le père de famille les terrorise et la mère se débat seule face à l’assistante sociale tandis qu’Amar erre la plupart du temps dans la rue avec ses potes, Pois Chiche l’agérien et Rico le gitan.Parlons-en de cette assistante sociale, Madame Davout, ou plutôt, laissons Lorent Idir en parler :

Madame, je ne vois rien dans ce placard qui puisse me satisfaire. Et votre frigidaire que j’ai obtenu après de  gros efforts est vide. Vos enfants ne vont pas grandir sans une alimentation saine et consistante.

C’est déjà beaucoup qu’elle aille leur rendre visite alors essayer de comprendre la pauvreté c’est sans doute trop lui demander à cette brave femme. L’assistante sociale aveugle par facilité, par lâcheté, le modèle même de celle que redoute toutes familles nombreuses dans le besoin. Ne va-t-elle pas nous enlever nos enfants ? Vite faisons le ménage partout, que tout brille et reluise par qu’elle ne ratera pas une occasion de nous humilier. Agirait-elle de la même façon dans un foyer moyen bien franchouillard ?  On se pose la question. La famille subit en silence.

Amar devient asthmatique aussi Madame Davout le fait-elle partir en cure dans un établissement tenu par des bonnes soeurs, accompagné de sa petite soeur Sonia . Cet épisode de sa vie est à l’image de ce qu’il a déjà vécu, autre lieu, autre entourage mais même tristesse, même mensonge, même cruauté. Amar sait au fond de lui pourquoi Sonia est ici, avec lui, mais je pense qu’ils n’en parleront pas.

J’aime beaucoup le personnage de Noria, la grande soeur, la maman de substitution, si vaillante, se battant pour offrir à sa soeur, ses frères et sa mère un autre avenir. Que de manigances, de risques pour parvenir à briser l’engrenage.

Voilà ce qu’Amar pense lorsqu’il rencontre son premier amour :

Je voulais tout ce que les gens normaux avaient toujours eu. Pourtant, tapie au fond de moi, je sentais cette peur qui parfois me nouait les tripes et qui toute ma vie m’avait poursuivi. Cette peur de rater, de ne pas être à la hauteur, la peur de me tromper de chemin, de prendre la mauvaise direction et de me perdre dans la forêt. Tout seul.

Le temps passe, Amar est adulte et âgé lorsque nous le retrouvons en fin de roman auprès de Noria et de Lorent, son fils.

Comment ne pas être happée par cette histoire ?

La deuxième raison qui fait de ce roman, un livre inoubliable et, très émouvant, je pense que vous l’avez deviné à la lecture des quelques citations. Ne me dites pas que cette écriture ne vous trouble pas, ne vous bouscule pas, ne vous remue pas ?  Il ne s’agit que de quelques extraits, tout le roman est puissant, et d’une telle fluidité que je suis très admirative pour l’auteur dont c’est le premier roman. Je n’espère qu’une chose maintenant : un autre roman.

Au fond de nos cages. Nous avons besoin de nous aimer. Tous. Nous brûlons de ne pas nous trouver.Il nous faut faire le voyage vers nos coeurs et nos mémoires. Aimez-moi. Rencontrez-moi.Adoptez-moi. Car je suis seul et multiple.

A noter que la préface est d’Abdel Hafed Benotman ( tiens donc, lui aussi un auteur dont je peine à parler tant son écriture me bouleverse )

Editions Rivages noir – N° 590
224 pages-Paru 15-03-06 -7.65 €

Hambourg 1995, le Bibby Kalmar est a quai, à son bord des réfugiés en attente depuis 6 mois d’une éventuelle régularisation, d’un toit  et d’un travail. Ils sont nombreux, ils sont moldaves, ukrainiens, chinois, roms, yougoslaves etc.
Pour survivre malgré la maigre allocation qui leur ai attribuée ils se livrent aux trafics de cigarettes, d’alcool et aux jeux. Le moldave dans sa coursive est le plus redoutable. Des parties de rami sont organisées.
Zoran, Zina et leurs deux enfants attendent comme tous les autres. Pour payer l’avocat qui pourra peut-être accélérer la décision de régularisation Zoran joue chaque soir et picole tout autant. A chaque étage des jeux et une nationalité différente …on ne se mélange pas trop.
Le bateau est surpeuplé, et il est le centre de tout ce roman, un personnage lugubre, effrayant, grinçant.
Arrivent Simmons, Pelletier et l’occidental ( l’interprète ) envoyés de l’Euroconscience. Ils viennent pour interroger les réfugiés sur leur condition de rétention sur la base de questionnaires. L’espace retrécit, les demandeurs d’asile étouffent, s’échauffent.
Un jour un ukrainien est tabassé et sombre dans le coma. Qui a fait ça ?
Voilà brièvement pour l’histoire de ce roman comme un huis-clos étouffant qui décrit les absurdités des consignes européennes, ses rivalités internes et ce désespoir pour tant de demandeurs d’asile.
J’ai beaucoup aimé le style de Thierry Marignac qui va droit au but, qui sait si bien rendre cet atmosphère particulière de ceux qui vivent dans l’attente, de ces hommes et femmes qui se demandent quand ils comparaîtront enfin un jugement.

Le bémol, c’est tout de même la lenteur du récit. Bien qu’A quai, j’aurais apprécié un peu plus de vivacité.

Editions Rivages noir – N° 772
Trad: Alexandra Carrasco-Rahal
224 pages – Paru le 07-04-10
8.65 €

Chez l’éditeur: Le matin du 11 septembre 2001, Kaluf descend du vol New York-Mexico et débarque en plein chaos. Les tours du World Trade Center viennent d’être anéanties et ce Libanais tranquille, propriétaire d’une boulangerie à Mexico, ne sait pas que son cauchemar personnel vient de commencer. Aux Etats-Unis, la guerre contre le terrorisme est lancée et, au-delà du Rio Grande, les autorités ne veulent pas être en reste : il faut se montrer coopératif avec le « grand frère » américain. Raison pour laquelle tout ce qui est arabe – même lointainement – va être étiqueté comme dangereux, et, à défaut de trouver de vrais coupables, la police mexicaine se contentera de coupables crédibles. Pour son malheur, Kaluf fait parfaitement l’affaire.

Entre une nymphomane qui le harcèle, des bandes de narcotrafiquants féroces et des policiers aussi corrompus que délirants, voici Kaluf transformé en héros kafkaïen.

Ironique, burlesque et terrifiant, Les 2001 nuits est une farce noire qui dénonce vigoureusement l’absurdité des systèmes politiques gangrenés par la corruption et gagnés par la folie.

Ce que j’en ai pensé :

Notre héros s’appelle Kaluf, d’origine libanaise, il est boulanger et a tout pour vivre heureux. Son rêve ainsi que celui de son épouse est de devenir président de l’Association libanaise du quartier. Seulement voilà, il se trouve dans un avion en provenance de NY le 11 septembre 2001. Il n’en faudra pas plus pour que sa vie déraille. La police mexicaine veut elle aussi son terroriste, pressée en ce sens par les Etats-Unis.
Notre pauvre Kaluf va devoir fuir malgré lui , il n’y comprend rien. Il est seul face à l’absurdité de cette situation, tout lui devient irréel. En plus de tout ça notre pauvre Kaluf se retrouve dans la ligne de mire des narco-trafiquants.

Rolo Diez manie l’humour noir et grinçant à souhait. Qui ne se souvient pas de l’après attentats du 11 septembre 2001 et de cette folie sécuritaire qui a suivi et se poursuit aujourd’hui ? Le héros est bien loin de telles pensées pourtant et Rolo Diez lui fait vivre les pires angoisses avec un brio incontestable.
Le rythme est enlevé, les situations burlesques, délicieuses à souhait et l’absurde omni-présent .

Je ne connaissais pas Rolo Diez, c’est mon libraire de feue L’Étoile polar de Nantes qui m’avait recommandé ce roman. Je l’en remercie encore.

Editions Rivages noir – N° 639
288 pages – Paru le 21-03-07- 8.15 €

Jacques Lafleur a été retrouvé égorgé avec  un sécateur ( qui a disparu ) alors qu’il enlevait les ronces dans le jardin de sa soeur, Jeanne, à Toulouse. L’histoire se déroule un an après la tragédie d’AZF. Le capitaine Félix Dutrey assisté de Magali Lopez enquête sur ce crime. Jacques Lafleur était un marginal, un baroudeur. Après un accident il était revenu vivre à Toulouse chez sa soeur. Félix interroge son frère,  amoureux des serpents et sa belle-soeur, quant à Jeanne elle paraît avoir perdu la tête.Parallèlement Pascal Dessaint nous parle de Rémi, un jeune homme, qui travaille au tri des ordures. Rémi y récupère des livres. Un jour, il met de côté un carton empli de cahiers, des carnets intimes qui s’avèrent être ceux de Jacques que Jeanne avait jetés.Ainsi à travers l’enquête de Félix et les cahiers que lit Rémi la vie de Jacques, ses interrogations nous sont dévoilées.Son passé s’avère  bien plus complexe qu’il ne semble.

Pascal Dessaint a une écriture sensible et imagée. Comme dans tous les romans que j’ai lu de cet auteur, les personnages sont de plein fouet dans la réalité et souvent très proches de la nature, en l’occurence dans ce roman, Jacques.

Il n’y a pas d’hécatombe, pas d’hémoglobine partout, juste des personnes aux prises avec elles-même, leur conscience et leur contradiction: des humains tout simplement et c’est ce qui fait que j’apprécie beaucoup le style Dessaint.

Rivages Noir-N° 575
256 p-Paru le 07-10-05-7,65 €

L’histoire est captivante avec dès le début ce rêve récurrent que fait Geoffrey  devenu amnésique suite à un accident. Qui était-il donc avant ? Après huit ans comment se fait-il que tout à coup tout déraille pour lui ? Qui sont ces personnes qui un soir s’acharnent à lui offrir des coupes de champagne ?

Geoffrey, à 26 ans replonge dans le passé. Pourquoi Josepha s’est -elle suicidée alors qu’ils allaient emménager ensembles ? Geoffrey n’y croit pas, pas plus que Lancelot, le flic ( qui tourneau café depuis qu’il a arrêté de boire).
Parlons en de ce Lancelot qui abrite chez lui Coralie sans papiers qui s’aperçoit au final qu’il est raciste .Lancelot au physique si ingrat qui découvre enfin l’amour.
Lancelot entre bien et mal, sous-marin du gouvernement qui traque et retraque inlassablement mais qui ? et pourquoi ? En arrière plan de ce roman les attentats du 11 septembre, la lutte anti-terrorisme et l’activisme.
Geoffrey va partir en quête de son passé pour comprendre, il va le  prendre en pleine face, durement ….Pourtant, Christian Roux laisse place à l’espoir.

Christian Roux nous offre encore une lecture passionnante pleine d’humanisme, portant un regard acéré sur notre  » belle et honorable société  » si florissante. Manipulations, mensonges, fuite ponctuent ce bel et émouvant roman noir.

Editions Rivages Noir – N°866
160 p-Paru le 02-05-12- 7 €

Quatrième de couverture :

Dans une France minée par le chômage et les plans sociaux, Larry, ingénieur acousticien, perd son emploi. Même pour un travail non qualifié, on ne veut pas de lui. Trop diplômé. Lassé des entretiens d’embauche qui ne mènent nulle part, écoeuré, aux abois, il fait une bêtise. Fabrique une bombe. Elle est fausse, mais lui seul le sait et le pouvoir de persuasion de la bombe est immense…

Depuis Le Couperet de Westlake, la souffrance au travail, la peur du chômage et la détresse induite par la perte d’emploi, sont des thèmes plus actuels que jamais. Christian Roux s’en empare dans ce road-novel intense aux accents de fable politique.

 

Ce que j’en ai pensé :

Encore un roman de Christian Roux qui décortique notre société, bref, un roman noir comme je les aime. De son écriture claire et limpide, sans jamais en ajouter, l’auteur nous fait suivre le parcours  de Larry qui perdant son emploi se trouve comme un funambule. Il s’aperçoit avec un peu d’amertume que les anciennes certitudes du temps de l’opulence ne peuvent persister dans ce nouveau présent qu’il lui faut affronter. L’amour qu’on croyait éternel s’émiette.Femme et enfant s’éloignent. Alors il se rend aux entretiens, sans aucune illusion.

[…]il fallait bien qu’il joue le jeu, s’il voulait essayer de croire qu’il gardait la main sur les quelques lambeaux de sa vie pas encore déchiquetés par ce monstre protéiforme, de plus en plus invincible au fur et à mesure que le temps passait : la crise.

 Et puis, parce qu’il veut  croire qu’il a encore son destin en main, il fabrique une bombe, une petite qui ne ferait pas de mal à une mouche. Il déambule ainsi dans les rues, il la brandit lors d’un entretien. Il imagine les réactions de la foule et il prend de la hauteur par rapport à tout ce qui l’entoure. Mais voilà, l’histoire dérape lorsque dans le sas d’une banque il laisse passer une jeune femme, Lu.
Larry réagit au quart de tour afin d’éviter une tuerie, s’ensuit une fuite en avant accompagné de Lu.
Décidément Christian Roux a ce talent de donner vie à ses personnages, de les rendre humains, fragiles. Comme pour ses précédents romans, l’auteur porte un regard aiguisé ici plus particulièrement sur le chômage : l’hypocrisie du Pôle Emploi ( sans accuser les employés ), l’indifférence qui frappe les sans-emplois, la vie quotidienne qui dérape et se dissout.
C’est réaliste, désespérément réaliste et la fin est très percutante.
En conclusion, vous le devinez, je vous le recommande vivement.

Editions Rivages noir – N° 352
Trad. de Marianne Millon
432 p – Paru le 09-03-2000
10.65 €

Petra et Garzon forment un tandem atypique, ici le supérieur est la femme, Petra Delicado la quarantaine alors que Garzon frise la retraite. Il est assez macho. Certains passages sont amusants lorsque Petra malmène un peu un suspect,  Garzon obéit, en policier discipliné mais montre sa désapprobation. Garzon pense que les femmes sont toutes des fleurs fragiles ce en quoi Petra et l’enquête qu’ils mènent tous deux à la recherche de ce violeur vont le désillusionner. Pour finir des liens forts et qu’on sent porteur d’une profonde amitié et d’un respect considérable se lient entre nos deux policiers.

Dans ce roman, pas d’experts, mais une enquête à l’ancienne. Le mystérieux violeur ne laisse aucun indice si ce n’est cette marque de fleur sur les bras des jeunes femmes, toutes fragiles. Petra et Garzon nous font progresser à leur rythme, tâtonnant, se trouvant en but à la critique médiatique, et même les victimes, achetées par les médias leur tournent le dos.

Alicia Gimenez Bartlett offre une analyse des milieux populaires et des liens parfois glauques au sein de la famille. Une enquête passionnante par son côté sociale. Les personnages sont attachants, personnellement j’aime aussi beaucoup Garzon et Petra pleine de bonnes intentions pour son avenir. Les ex m’ont fait sourire. Petra devant le plus vieux se sent comme une gamine en faute tandis qu’avec le plus jeune, elle jouerait presque à la maman.

Un bon moment de lecture

Editions Rivages noir – 368 p
Paru le 01-03-2007 – 8.65 €

La ménagerie c’est Malo Rottweiler dit Le chien, mais aussi Impala, Le chameau, Le Pottock, la marmotte. Ces noms d’ animaux totems leur avaient été attribués par Jean-Loup Fresnel, Loup. Le roman s’ouvre sur la mort brutale de celui-ci. Les enquêteurs souffrent, surtout Le chien car orphelin tout petit c’est Loup qui lui aura permis de se sortir des embarras.
Puis l’enquête emmène nos inspecteurs vers le meurtre de deux danseurs pour femmes, qui ont été assassinés dans de grandes souffrances comme affectionnait de le faire les nazis.
Au commissariat, parviennent des lettres de dénonciation signé par un certain Thor. Pour un moment tout laisse à penser que les milieux d’extrème droite sont mêlés à ces affaires.
Allant chercher des indices au domicile de Loup, Le chien se fait agresser et Le chameau est blessé à la cuisse.
Bientôt Rottweiler comprend qu’il faudra remonter dans le passé pour élucider le présent, passé qui mène en Normandie. Il y découvrira une facette de Loup qu’il ne soupçonnait pas.

Un très bon roman qui file vite, fort bien écrit avec des personnages fouillés et de l’humour. J’ai adoré. Il existe une trilogie avec Loup, je vais certainement la lire…la question est quand ?