BloodFamily_VL_8_07_16Le petit Eddy a sept ans lorsqu’il va sortir de l’enfer qu’il a vécu, reclus avec sa mère sous la coupe de Bryce Harris. Il va être confié à une famille d’accueil d’urgence le temps que les services sociaux évaluent son état psychologique. Sa mère n’a pas cette chance, devenue folle et sans plus aucun repère affectif, elle est internée. Bizarrement malgré l’isolement et le fait de n’avoir pas été scolarisé le petit Eddy s’avère posséder une forme de connaissance surprenante pour son âge. Qui est donc ce Monsieur Perkins à qui il fait référence ?

Son état de santé et psychologique étant bon, l’enquête étant close Eddy est confié à une famille adoptante Natasha et Nicholas qui ont déjà adopté auparavant une fille. Cette famille va connaître quelques déboires avant que finalement Eddy n’y fasse réellement son nid, travaillant correctement à l’école. Tout ira bien jusqu’au jour funeste d’une sortie scolaire, jour ou Eddy sera confronté à son reflet qui n’est autre que celui de Bryce, l’homme de la terreur, l’ogre. Tout dérape alors pour ce jeune ado qui dérivera vers l’auto-destruction à travers l’alcoolisme.
C’est avec brio qu’Anne Fine traite ici un fait que l’on pourrait lire dans les journaux, ce long cortège de misère,de peur, de violence que l’on découvre avec stupeur et écoeurement.

Un sujet amené sans misérabilisme avec beaucoup de soin porté à l’édification des personnages. La reconstruction d’ Eddy laborieuse et douloureuse trouvera-elle une fin heureuse ?

Un roman intense ! Une splendide réussite.

Roman traduit de l’anglais par Dominique Kugler.

Sous silence - Catherine Enjolet Éditions Libretto 06-02-2014 / 6 € 70

Sous silence – Catherine Enjolet
Éditions Libretto
06-02-2014 / 6 € 70

Sous silence de Catherine Enjolet

Il s’agit là d’un petit roman car il ne comporte qu’une centaine de pages. Mais ce petit roman vous met un claque monumentale. Il est grand, majestueux, en un mot magnifique !

Catherine Enjolet donne ici la plume à Nabisouberne. Qui est cette enfant qui ne sait pas elle-même quel est son âge ? A travers ces quelques pages, l’auteur nous emmène à sa suite, nous invite à découvrir par touches adroites et touchantes le quotidien de cette enfant. Nabisouberne surnommée Bisou par certains, son beau-père entre autres, vit aux côtés de sa mère et sa grand-mère, s’occupant également de sa fratrie puisque sa mère est une personne constamment angoissée, vivant dans la crainte du regard d’autrui, la peur de la Ddass. Nous sentons dès le début de ce roman la puissance dévastatrice de cette peur :

– On va nous dénoncer !
Ma mère répète. À voix basse. Elle accélère le pas. Faut se méfier…Chut ! Je me tais. Je baisse la tête. C’est automatique. Je baisse les yeux dans la rue. Je fixe le caniveau, les gargouillis de l’eau. Je ne regarde pas pour ne pas qu’on me voie. Ma mère me tire par la main par petits coups secs comme si je ne disparaissais pas assez vite du paysage.
– On va encore nous dénoncer !

Sans le père, une mère aux abois qui crie «  au secours » et une porte qui se referme sur ses enfants, les séparant. Désemparés, l’affront gravé cette douleur laisse une empreinte indélébile. La famille vit chichement, tandis que la grand-mère continue de rêver au ancêtres. Et la petite Bisou fait ce qu’elle peut pour vivre dans tout cela, vivre est étant mutique au grand dam de l’école qui sait pertinemment qu’elle est intelligente. Seulement, qui pourra comprendre ce qui crie au fond d’elle ? Qui peut écarter de son chemin cette ombre menaçante qui la traque et l’accule au vide ?

Nabisouberne écrit sur des petits papiers, autant de papiers jetés au vent, autant de mots qu’elle extirpe naturellement de son petit être à l’étroit, et malmené. Et quand elle n’est pas mutique les prises de paroles semblent des affronts.

Bisou perdue sans identité, Bisou dans son quartier qu’elle aime aussi,la boulangerie et la petite trisomique, le café, les toits, la voisine qui chante ensoleillant l’immeuble.

Il est difficile de comprendre un enfant qui n’en est pas vraiment un, rude le chemin qui permettrait derrière cette soi-disant folie affichée de tendre une main. Pourtant, une personne va le faire, ce sera la Prof -de-comptoir.

Elle veille sur mes pages. Sur les Bisou comme moi. Les Fanny, les Lili, les Poussin et les autres.Ceux et celles qu’on ne sait pas entendre.

Ce n’est pas un livre qui se résume, c’est pour cela que j’ai choisi de ne pas copier la quatrième de couverture. C’est un roman qui se vit du fond du cœur et des tripes. Combien de ces enfants côtoyons-nous sans les entendre ? La note positive de ce livre c’est peut-être aussi nous dire « prenez le temps de les écouter, tous ».

L’auteur tout en narrant cette histoire d’une enfant dans un milieu qu’on qualifierait de bancal dépeint la vie d’un quartier au delà de celle difficile de cette famille. Je ne connaissais pas Catherine Enjolet et je suis vraiment ravie d’avoir pu la découvrir ici grâce à l’opération Masse Critique de Babelio et à la générosité des Éditions Libretto. C’est quasiment une certitude, je lirai à nouveau Catherine Enjolet.
À noter la très belle préface de Boris Cyrulnik.

Confusion des peines - Julien Blanc Editions Libretto Parution octobre 2013

Confusion des peines – Julien Blanc
Editions Libretto
Parution octobre 2013

Confusion des peines

Seule, la vie…, I

J’ai eu le plaisir de recevoir cette auto-biographie de Julien Blanc grâce à l’opération masse-critique organisée par Babelio  que je remercie sincèrement ainsi que l’éditeur Libretto.

Le mot de l’éditeur : « Que fut mon enfance ? Une suite d’erreurs. Erreurs de la part de ceux qui veulent les enfants comme ils les aiment, au lieu de les aimer comme ils sont. »

Orphelin recueilli par une marraine aussi bigote qu’austère, Julien Blanc sera rapidement envoyé à l’orphelinat puis en maisons de redressement à une époque où ceux qui ne filaient pas droit n’avaient que les coups ou la charité pour avenir. Il y apprendra la faim, l’humiliation et ne deviendra que révolte : une révolte qu’il partage ici sans artifice et qui n’altérera en rien ses rêves.

Mon avis :

De cette époque, je ne connais réellement que la Grande Guerre comme les contemporains l’appelaient. L’histoire de Julien Blanc débute à Paris en 1908, né orphelin de père, sa mère est son univers, son unique amour. Celle-ci se tourne vers les dames d’oeuvres pour survivre. L’une d’entre elle devient sa marraine, et persuade sa mère de le faire baptiser. C’est ainsi que sa maman devint bonne à tout faire. C’est elle qui lui apprit à lire, écrire, calculer et quelques notions de piano.

Aux huit ans de son fils, elle meurt et est enterrée en fosse commune. C’est alors le début de la valse entre les différents établissements pour le jeune enfant sans famille.

Il n’est pas difficile d’imaginer le désarroi du petit garçon qu’évoque Julien Blanc et encore moins de comprendre toute cette révolte montante en ce petit d’homme Là, où il lui fallait amour et tendresse, il n’eut que brimades, fessées, cachots, et humiliations.

Très vite il se dit :

Je commençais néanmoins de comprendre ce jour-là que la société est hypocrite, qu’il faudrait ruser avec elle, la prendre par surprise, à revers. J’étais tout d’une pièce. Quand j’avais quelque chose à dire, je le disais, ouvertement, brutalement, sans m’occuper des conséquences.

Au sortir de la maison de correction, il se lie d’amitié avec Jean, son aîné de 6 mois.

Julien Blanc trouve des mots forts et d’une beauté touchante au souvenir de cette amitié « ce bombardement de photons amicaux dans mes ténèbres. »

Il y eut les premières amours avec la déchirure des séparations et les trahisons.

Ce fut l’orphelinat puis les placements dans des familles. Des renvois parce qu’il vole en catimini. Ballotté d’un coin à un autre, sa marraine ne le suit que de loin, trop occupée par les hautes sphères et c’est Daise qui l’a en charge le plus souvent, Daise encore plus méchante que sa marraine.

A 14 ans il entre au patronage ( dépendant de l’Etat ) pour y apprendre un métier manuel, alors qu’il veut suivre des études pour aller au lycée tenter de rejoindre Jean. Il rêve toujours de devenir musicien.C’est à ce moment qu’il devient Pupille. La suite est dans la continuité, hélas pour lui, de ce qu’il a vécu et va s’aggravant.

Cette première partie des mémoires de Julien Blanc « Confusion de peines » nous révèle beaucoup de choses sur la vie dans les années précédent la Grande Guerre. C’est terrible de lire ce témoignage d’enfant puis de jeune homme, tellement brimé, aux rêves se heurtant à la réalité crue de la religion et de la bourgeoisie. Quelques mains lui seront tendues cependant et il gardera tout de même quelques espoirs dans sa tristesse environnante.

Les conditions dans lesquelles ont faisaient travailler ces jeunes enfants sont terribles et non sans rappeler ce qu’il se passe encore dans certaines régions du globe.

Ici, c’est tu plies ou tu vas au cachot. Sa parole est constamment remise en question, qu’il dise la vérité ou qu’il mente, le résultat face à ces nombreux adultes hypocrites et parfois pédophiles ne varie pas. Tout n’est quasiment toujours que rapport de force. 

Je finis ce retour de lecture par cette citation :

Etre libre ? Mais c’était impossible. Je n’aurais pu l’être qu’à mille lieues de toute civilisation. Ici, ma course à l’embauche me prouva, le jour que je me mis à y réfléchir de près, que je ne serais jamais libre. C’était un mot vide, dénué de sens.La liberté, c’est ce qui n’est pas défendu. Tout m’était interdit.

Je vous invite chaudement à découvrir La confusion des peines.

Epilogue

Epilogue d'Anne Bert  Ebook - Edicool

Epilogue d’Anne Bert
Ebook – Edicool

Chez l’éditeur : [..« Vous êtes bien Marguerite Nourdi ? Je suis Line Passage,votre tutrice. »Cette phrase terriblement anodine l’avait faite dépositaire de la vie de Marguerite. À cette seconde, comme tombe une condamnation, tout le peu que cette femme avait pu gagner en droits dans sa pauvre existence s’était écroulé comme un fragile château de cartes. Marguerite fut expropriée de sa vie. Dépossédée d’elle-même…]

Ce sont deux vies, deux femmes qui vont se rencontrer et cheminer ensemble jusqu’au bout. C’est l’histoire de la vieillesse, du regard que notre société lui porte, du sort que notre justice lui réserve. Marguerite, pensionnaire de l’Epilogue, résidence aussi justement que cruellement nommée, voit débarquer Line, celle qui devra déterminer à sa place ce qui est bon et juste. Mais la vieille femme méprise ceux qui veulent lui faire payer sa longévité beaucoup trop cher, elle parvient à rallier subtilement sa tutrice à son désir de ne plus épiloguer.

Un terrible pacte tacite est conclu… Tourner le dos au mouroir pour découvrir ce qui se rapproche peut-être le plus de l’immensité de l’univers, l’océan dont le bord si étroit recueillera pourtant les derniers instants d’une vie près d’être engloutie.

C’est à la fois un récit ordinaire et complexe par la variété des émotions qu’il suscite. Ce sujet d’apparence simple, mettant en scène une vieille dame, Marguerite et sa tutrice ( également traductrice ) Line, va littéralement vous remuer les tripes, savamment vous malaxer la cervelle, vous pétrir le cœur. Oui, nous avons tous des « aînés » sur lesquels nous portons un regard parfois amusé, agacé, circonspect, inquiet etc… Ce troisième âge qui tend à devenir un quatrième âge tant l’espérance de vie augmente.

Marguerite n’a pas eu ce qu’on appelle un vie facile.

« La vieille femme possédait un langage particulier. Elle avait naguère conté son histoire à Line, sa scolarisation vite arrêtée, son mariage parce qu’il le faut bien, la vie à la ferme, l’enfant simplet, les champs, les bêtes, son ivrogne de mari, son veuvage, toute une vie de peines selon ses étranges expressions-les bras occupés et la tête inhabitée-une vie de silence-juste les fantômes des mots à l’intérieur-une vie sans caresses, sans joie, sans baisers, tant d’années de regrets en si peu de phrases. »

Les mots de Marguerite, ses regards, ses silences assènent des vérités que Line peu à peu assimilera, prenant conscience, parfois de manière abrupte, de ses propres préjugés à l’encontre des personnes âgées. A travers ce tandem, l’auteur, Anne Bert parvient avec justesse et sensibilité à interroger notre âme. Marguerite est pauvre et seule. N’ayant plus assez de ressources elle devra quitter l’Epilogue, cette maison de retraite car même en ces lieux il est question de rentabilité, encore et toujours.

Beaucoup d’entre nous avons visité nos grands-parents dans ces maisons. On le sait bien que tout ça revient terriblement cher si on veut que nos « vieux » aient un minimum de décorum et d’attention.On craint le jugement d’autrui si par malheur on n’a pas les moyens de les envoyer dans un « bon établissement ». Lorsque cela est fait on y va avec un peu de réticence, parce que les vieux ça sent. Ils sont là devant la télé, dans leur fauteuil roulant, ou errant avec leur déambulateurs, le regard perdu dans on ne sait quel songe ou vous attrapant la main au passage quémandant un regain d’amour, d’attention ou peut-être tout simplement la fin d’un calvaire ? Qu’en est-il de la vieillesse quand tout est pognon ? Que deviennent nos aînés, leurs cœurs et leurs corps une fois que nous les quittons  ?

Tout comme bon nombre d’entre nous détestons les odeurs d’hôpitaux, nous sommes souvent soulagés dès que nous quittons ces endroits. On ferme les yeux et on n’y pense plus jusqu’à la prochaine fois, comme un devoir à accomplir.

Marguerite fait un choix personnel et ô combien compréhensible. Alors Line va l’aider de la façon la plus humaine qui soit. Marguerite décide et prend sa vie en main. Marguerite qui bien qu’ayant habité à peine à une quarantaine de kilomètres de l’océan ne l’a jamais vu. Enfin, elle va découvrir l’immensité. La première rencontre avec l’océan est une révélation pour elle et l’auteur en fait une scène infiniment belle et émouvante. Cette vieille dame si peu instruite, selon nos critères, a bien des choses à nous apprendre.

C’est un roman que je recommande tout particulièrement pour sa sincérité et le style de l’auteur. Marguerite vous prendra le cœur en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

Un grand merci à Paul Leroy-Beaulieu pour cette belle lecture.

Je vous invite à lire l’interview d’Anne Bert sur le site de l’éditeur Edicool 

Cet ebook sans DRM est à 3 € 99 vous pouvez l’acquérir en passant par le store de l’éditeur.

Editeurs NumérikLire

Editeurs NumérikLire

Après avoir perdu son logement, notre homme trouve refuge dans son bureau. Mais les affaires périclitent, les factures s’accumulent, les injonctions tombent noyant le bonhomme dans un quotidien de plus en plus oppressant. Il vit de nuit, passant ses journées reclus dans le noir, à ruminer ses sombres pensées pour échapper au destin qui se pointe inéluctablement. Il ne peut échapper aux créanciers. Le voilà à la rue avec pour seul refuge sa 205 rouge où il va apprendre à subsister tant bien que mal. Jeff Balek décortique les pensées intimes de son personnage oscillant entre le sentiment d’ivresse d’une nouvelle liberté, les craintes qui se saisissent de lui la nuit, le désir de tendresse, garder coûte que coûte sa dignité. Chaque jour, se réveiller perclus de douleurs, se contorsionner pour se changer, être si stressé que le sommeil est hâché en vagues successives. Ne trouver un semblant de repos qu’en jetant pêle-mêle sur le papier des mots, des phrases, autant de bouées de sauvetage.Parfois dans cette errance quotidienne, il aperçoit un ange, ou il découvre une beauté assassinée par les passants indifférents, blasés. Le regard des autres sur lui, un regard assassin, cruel et blessant.

Il essaye de trouver du boulot mais sans domicile c’est bien difficile. Il faut se résoudre à consulter le carnet d’adresses. Il faut vivre.

Il y a des romans qui prennent aux tripes tant ils expriment une réalité crûe en utilisant un langage à la fois direct et empreint de poésie. Jeff Balek avec Macadam Gonzo a produit cet effet sur ma lecture.

A priori, c’est une histoire banale. Des clodos, ont en voit chaque jour qui ont pour beaucoup vécu cette descente en enfer décrite par Jeff. Ça sent le vrai, c’est d’une sincérité presque désarmante, bref ce récit est à la fois une grosse baffe, un témoignage, l’espoir au bout du tunnel, un coup de talon pour remonter en surface. C’est une aventure humaine émouvante.

De façon assez étrange, Macadam Gonzo n’est pas  un roman déprimant. C’est une belle leçon d’humanisme surtout.

Macadam Gonzo de Jeff Balek édité par Numériklivres : 3 € 99 en vente, entre autre, sur L’immatériel

La version papier existe chez Lulu.com

La filière émeraude

Il s’appelle Liam et est irlandais. Pour une bêtise commise dans son pays, il doit émigrer clandestinement  en Amérique via la Filière émeraude et ….Adieu la bourse d’étude et la course à pieds, Adieu L’Irlande natale. Il se retrouve dans un motel minable à travailler pour trois fois rien, victime d’une étrange maladie qui le desquame. C’est là qu’il fait la connaissance de Sandy, un jeune drogué, bagarreur et d’Angel une adolescente prostituée enceinte .

Après quelques sombres et menaçantes péripéties  le trio prend la route pour s’installer dans un camp perdu au milieu d’autres personnes sans travail, vivant dans le dénuement. C’est la misère complète dans les caravanes où des familles entières s’entassent.

Liam prend sous sa coupe Angel, comme un grand frère le ferait.
Sandy s’évertue à « entraîner » Liam à la course : un trophée est organisé par une école et il y a de l’argent à la clef. Sandy devient de plus en plus violent, dur, frôlant la folie.

Alors voilà, je le dis « Oui ce roman est noir », oui il parle de misère, de drogue, de peur, d’isolement et de détresse . Il n’y a pas d’accumulation de clichés ici, pas de désir de pointer un tel ou tel autre. C’est un beau roman, poignant dont malgré les apparences vous sortirez indemnes  avec un magnifique bonheur de lecture. Le début peut paraître un tantinet lent mais rassurez-vous et persistez, vous n’aurez sans doute pas à le regretter.

Michael Collins a  cette écriture talentueuse qui déroule sa puissance d’évocation, qui choppe le fond du coeur, l’agite et ne le lâche pas.

Christian Bourgois

Une ville du nord de l’Angleterre, peu après Noêl, un homme, Robert est retrouvé mort dans son appartement. Il semble être décédé depuis plusieurs jours. Nous le voyons à travers les yeux des toxicomanes qu’il hébergeait en échange de quelques courses. Ces voix sont présentés tout au long de ce récit depuis la découverte du corps jusqu’à l’enterrement. il y a Danny, Laura, Heather, Ant,Steve, Ben, les chiens Einstein, H et Penny. Tour à tour nous découvrons l’histoire de ces toxicos et celle de Robert, nous apprenons pourquoi il aura fallu si longtemps pour trouver le corps de Robert. Les phrases de ce choeur de Nous sont parfois syncopées comme les crises de manque qui assaillent les personnages.
J’ai beaucoup aimé ce roman certes pas facile à lire  mais qui colle parfaitement aux personnages. J’ai apprécié qu’il n’y ai pas de jugement porté. C’est un roman dense, profondément humain, difficile d’accepter certaines images mais l’auteur les fait exister sans qu’elles ne deviennent déprimantes ou dérangeantes. Même l’autopsie de Robert est décrite de façon si humaine avec tant de respect dans les gestes du médecin que la scène devient touchante avec ce Nous qui suit toujours les mouvements.

Un livre peu ordinaire qui m’a profondément touchée. Je l’ai référencé en Roman noir, ce qui ne plaira peut-être pas, mais je m’en moque.

1950, Niagara Falls ( d’où le titre ), haut lieu touristique. Ariah, 29 ans, vient d’épouser Gilbert. Ils sont tous deux presbytériens. Aux lendemains de la nuit de noces, Ariah se réveille seule dans la chambre d’hôtel. Désemparée, elle va errer dans l’hôtel et apprendre peu de temps ensuite qu’un homme s’est jeté dans les chutes. Durant sept jours elle va errer le long des chutes, on l’appellera la Veuve Blanche. Elle est persuadée d’être damnée. Dick Burnaby, brillant et riche avocat aux nombreux amis la suit comme son ombre. Il tombe amoureux d’elle qui n’est pourtant ni très belle ni de son milieu et l’épousera très rapidement. Ils vivront ensuite dix années de bonheur durant lesquelles ils auront trois enfants : deux garçons et une fille. Ariah ne se passionne que pour son mari et ses enfants, elle ne souhaite rien savoir ni même comprendre du monde qui l’environne.

1962 : Dick prend fait et cause pour une femme dont la famille et la maison ( durement acquise ) ont souffert des industries chimiques qui ont fleuri à Niagara Falls ( leucémies, fausses couches, empoisonnement du sol, allergies etc …) Il y perd ceux qu’ils pensaient être ses amis, beaucoup d’argent et se met à dos les notables. Une lutte acharnée débute , Dick ne s’en sortira pas indemne. Ariah lui tourne le dos, lui reprochant d’abandonner sa famille. Dick disparaît à son tour…Ariah élève les enfants seule en donnant des leçons de piano. Elle interdit aux enfants de parler de leur père, il les a abandonnés s’acharne-t-elle à dire. Ils passeront leur enfance à tenter d’en savoir plus, subissant les sautes d’humeur d’Ariah, mère possessive, entêtée, et névrosée.

1978: L’industrie chimique est punie lors d’un procès retentissant. Les enfants quant à eux chacun à leur façon auront découvert quelques parcelles de vérité concernant leur père. C’est aussi pour eux un grand moment car ce procès réhabilité Dick.

Mon avis Un roman fleuve ( avec quelques longueurs tout de même ) qui aborde pas mal de sujets : le puritanisme, les arrangements entre industriels, politiques et laboratoires. Au coeur de ce roman Ariah que je ne suis pas parvenue à aimer tout en lui trouvant des excuses dans son éducation et le traumatisme de son premier veuvage. Elle fait subir tant de choses à ses enfants, les obligeant à vivre dans le dénuement, les écrasant par son amour maternel vorace et intransigeant , leur interdisant de questionner sur leur père que j’étais choquée par sa conduite. Certains personnages auraient du être mieux expliqués comme cette femme en noire que Royall va croiser.

C’était la première rencontre avec cette auteure, sans doute pas la dernière. Une bien belle plume.

Actes Sud

C’est bien plus qu’un roman sur la délinquance sexuelle et l’exclusion ; c’est un roman sur l’hypocrisie, la perte d’identité. A travers l’histoire de Kid, Russell Banks déroule devant nous un univers sans pitié, misérable, et méprisant, un monde fait de culpabilisation , de fausse pudibonderie, de perte de soi.
Kid, avec son bracelet electronique à la cheville ne comprendra qu’en toute fin de roman qu’il lui reste malgré tout encore 10 ans à vivre ainsi dans l’exclusion, ces 10 années de mise à l’épreuve pendant lesquelles il n’aura pas accès à un logement car il ne doit pas résider près des écoles ou lieu public, et de plus n’importe qui : futur employeur ou bailleur peut connaitre en un clic son passé et sa condamnation. Kid a grandi quasiment seul avec pour compagnie un iguane ( d’où la photo de couverture) Sa mère ne se préoccupant guère de lui, il a commencé à traîner sur le net, de fil en aiguille sur les sites pornographiques. Sa condamnation a trois mois de prison, il la doit à un traquenard suite à un chat avec une jeune fille. Rien n’était prémédité, il ne pensait même pas réellement à ce qu’il pourrait faire si l’occasion de présentait. Le vice est là, dans ce piège qu’on lui a tendu. Kid m’a énormément touchée, attendrie et attristée
A sa sortie de prison Kid n’a pas la choix, il va rejoindre la cohorte des laissés pour compte sous le viaduc. C’est là qu’un professeur de sociologie, énorme qui prend toute la place, va aller à sa rencontre pour l’interviewer . Qui est Kid aujourd’hui ? pourquoi a t il été condamné ? Mais Alamasse comme kid surnomme le prof est il vraiment ici dans ce seul but ? N’a t il pas lui aussi un secret, une maladie ?
C’est tout au long du roman aussi l’occasion de s’interroger sur la place que prennent les nouvelles technologies, sur la place que l’individu puni peut encore trouver dans un monde déshumanisé et hypocrite.

Liana Levi-Piccolo

Une plantation non loin de Bâton-Rouge. James travaille sur la plantation de Marshall Hebert, riche blanc. Il conduit le tracteur pendant que d’autres emplissent la remorque de maïs. Ce jour-là Bonbon, le contremaître cajun, lui ordonne de conduire Marcus un jeune noir condamné à la prison chez lui pour récupérer des affaires et venir travailler. A Bâton-Rouge Miss Julie prie James de s’occuper de Marcus, James ne sait pas dire non. Marcus est égoiste, et s’habille comme un dandy.
Bonbon est marié à Louise qui ressemble à une enfant et ils ont une petite fille, surnommée Tite ( maladive). Mais Bonbon a aussi une maîtresse noire, Pauline avec qui il a eu des jumeaux. Pauline vit dans les quartiers noirs où Bonbon lui rend visite deux ou trois fois par semaines. Elle a obtenue de lui de travailler à la maison du maître.
Marcus ne veut pas rester 5 ans ici. Il fomente une vengeance, une évasion. Il n’est pas payé car logé et nourri. Lorsque les  » ouvriers  » achètent au magasin Marcus sait qu’il prolonge d’autant son travail dans la plantation.
Tout le quartier noir, guette, attend, et suit l’évolution des rapports humains tandis que la poussière vole partout et colle aux semelles. L’atmosphère est de plus en plus oppressante, et …je m’arrête là, à vous d’être curieux maintenant.

Demande à la poussière c’est l’histoire d’Arturo Bandini, 20 ans, qui débarque à Los Angeles plein d’espoir après la publication par Hackmuth de sa nouvelle  » Le petit chien qui riait  » . Il vit dans un hôtel minable, vivotant de l’argent qu’il sollicite auprès de sa mère, et de quelques sous reçus de journaux pour la publication d’une nouvelle. Concentré sur sa machine à écrire, il sue sang et eau, les lignes vont et viennent et rien n’en sort qui puisse convaincre. Il est torturé :

Parfois une idée flottait innocemment à travers la pièce. C’était comme un petit oiseau blanc.Il voulait seulement m’aider, ce cher petit. Mais moi je le frappais, je l’écrasais en martelant mon clavier et il expirait dans mes mains.

Il n’a pas d’argent pour se nourrir convenablement :

Intéressante innovation, ça, pêches et oranges. Je les déchirais à belles dents, je les mastiquais, le jus me vrillait l’estomac et gémissait là au fond. C’était si triste là en bas, dans mon estomac. Ça pleuraitbeaucoup,énormément même,avec des petits nuages gazeux vaseux qui me pinçaient le coeur.

Dans un bar, il rencontre Camilla Lopez, mexicaine, qui est serveuse et dès cette première rencontre s’installe entre eux un jeu étrange de séduction / répulsion. Il l’humilie, elle sous-entend son manque de virilité. Elle l’obsède

jusqu’à en oublier que j’étais pauvre, et sans la moindre idée pour une nouvelle

Le lecteur voit en Arturo un être bourré de contradictions, tour à tour généreux et haineux ( avec cette pointe de racisme dont il a souffert et se venge sur Camilla), parfois naîf, maladroit, un adolescent en pleine construction et aussi cette générosité dont il fait preuve dès qu’un cachet lui tombe du ciel.

John Fante décrit Los Angeles et les rêves perdus pour ces gens venus y finir leur jour au soleil mais en crevant la faim. C’est la poussière du désert du Mojave et c’est la poussière qui recouvre tout.

J’ai savouré ce roman. L’écriture de Fante est juste, il ne cherche pas à y faire de l’épate il décrit la réalité quotidienne et ce quotidien prend des aspects magiques sous sa plume. Les personnages y sont dépeints d’un regard tendre et ironique. J’ai oscillé entre le sourire et la tristesse, la compassion et la révulsion pour Arturo ( quand il se débat avec le racisme) J’ai admiré les pages où il relate la pauvreté dans cet Eldorado.

Vous l’aurez compris que j’ai beaucoup aimé

Rivages Noir – N° 767 -240 p –
Paru le 17-03-2010 8.15 €

La quatrième de couverture :

Nyons, sud de la France. Amar l’Emir, petit garçon bravache et rêveur, fuit sa grande soeur Noria qui veut le serrer dans ses bras à la sortie de sa garde à vue. Au quotidien, Amar déambule entre les chantiers, l’école, la rue et l’appartement familial hanté par la folie d’un père harki brisé et ivrogne. En grandissant, les rêves d’Amar deviennent plus flous et les désillusions se précisent. Puis le temps s’emballe. Adulte, Amar revient à Paris, où personne ne l’attendait. Sa visite ne peut signifier qu’une chose pour le fils de Noria, qui veille celle-ci dans le labyrinthe infernal de l’hôpital…

Lorent Idir a grandi à Montreuil. Passionné de cinéma et de musique, il navigue entre culture urbaine et plus classique, rappe sur de petites scènes puis s’initie au slam. Son écriture très noire rappelle celle d’Abdel Hafed Benotman. Auteur d’un premier album (Un cheval sur le périphérique), il forme avec son fère le groupe Twin Twin et prépare une tournée.

Ce que j’en ai pensé :

J’ai noté que plus un livre me touche, plus j’ai du mal à en parler. J’ai juste envie de vous dire :  » Lisez-le, vous ne l’oublierez jamais « .

Plusieurs raisons à cela, la première, l’histoire d’Amar L’Émir et elle débute fort dans un cinéma où il assiste avec son oncle à une séance très spéciale. Résultat, ils se retrouvent au commissariat où on ne peut pas franchement dire que les flics soient sympathiques ni compréhensifs. Mettre les bracelets à un gosse, c’est tout de même ahurissant de cruauté. Pourtant Amar il  rêve :

Ils m’appellent Amar L’Émir, et moi, j’veux qu’tout le monde m’appelle commandant Cousteau

Le père d’Amar, Said Ben Bourriche  est un harki qui ne  parvenant à être identifié comme français va de dérives en dérives: alcoolisme, violences sur sa femme Zakia et ses enfants, exploitation d’Amar sur les chantiers. Le père de famille les terrorise et la mère se débat seule face à l’assistante sociale tandis qu’Amar erre la plupart du temps dans la rue avec ses potes, Pois Chiche l’agérien et Rico le gitan.Parlons-en de cette assistante sociale, Madame Davout, ou plutôt, laissons Lorent Idir en parler :

Madame, je ne vois rien dans ce placard qui puisse me satisfaire. Et votre frigidaire que j’ai obtenu après de  gros efforts est vide. Vos enfants ne vont pas grandir sans une alimentation saine et consistante.

C’est déjà beaucoup qu’elle aille leur rendre visite alors essayer de comprendre la pauvreté c’est sans doute trop lui demander à cette brave femme. L’assistante sociale aveugle par facilité, par lâcheté, le modèle même de celle que redoute toutes familles nombreuses dans le besoin. Ne va-t-elle pas nous enlever nos enfants ? Vite faisons le ménage partout, que tout brille et reluise par qu’elle ne ratera pas une occasion de nous humilier. Agirait-elle de la même façon dans un foyer moyen bien franchouillard ?  On se pose la question. La famille subit en silence.

Amar devient asthmatique aussi Madame Davout le fait-elle partir en cure dans un établissement tenu par des bonnes soeurs, accompagné de sa petite soeur Sonia . Cet épisode de sa vie est à l’image de ce qu’il a déjà vécu, autre lieu, autre entourage mais même tristesse, même mensonge, même cruauté. Amar sait au fond de lui pourquoi Sonia est ici, avec lui, mais je pense qu’ils n’en parleront pas.

J’aime beaucoup le personnage de Noria, la grande soeur, la maman de substitution, si vaillante, se battant pour offrir à sa soeur, ses frères et sa mère un autre avenir. Que de manigances, de risques pour parvenir à briser l’engrenage.

Voilà ce qu’Amar pense lorsqu’il rencontre son premier amour :

Je voulais tout ce que les gens normaux avaient toujours eu. Pourtant, tapie au fond de moi, je sentais cette peur qui parfois me nouait les tripes et qui toute ma vie m’avait poursuivi. Cette peur de rater, de ne pas être à la hauteur, la peur de me tromper de chemin, de prendre la mauvaise direction et de me perdre dans la forêt. Tout seul.

Le temps passe, Amar est adulte et âgé lorsque nous le retrouvons en fin de roman auprès de Noria et de Lorent, son fils.

Comment ne pas être happée par cette histoire ?

La deuxième raison qui fait de ce roman, un livre inoubliable et, très émouvant, je pense que vous l’avez deviné à la lecture des quelques citations. Ne me dites pas que cette écriture ne vous trouble pas, ne vous bouscule pas, ne vous remue pas ?  Il ne s’agit que de quelques extraits, tout le roman est puissant, et d’une telle fluidité que je suis très admirative pour l’auteur dont c’est le premier roman. Je n’espère qu’une chose maintenant : un autre roman.

Au fond de nos cages. Nous avons besoin de nous aimer. Tous. Nous brûlons de ne pas nous trouver.Il nous faut faire le voyage vers nos coeurs et nos mémoires. Aimez-moi. Rencontrez-moi.Adoptez-moi. Car je suis seul et multiple.

A noter que la préface est d’Abdel Hafed Benotman ( tiens donc, lui aussi un auteur dont je peine à parler tant son écriture me bouleverse )

Editions Krakoen – 292 pages
Déc. 2011 – 11,20 €

La citation de l’éditeur :

[…] Les Gueux, c’était l’enfer. Et c’était aussi le paradis. Allez expliquer ça… Des années que ça durait. Les Gueux, c’était un no man’s land avec du monde dedans. Ceux qui vivaient là, ils se cramponnaient, vous comprenez, comme des naufragés sur un radeau qui prend l’eau qu’on colmatait au système D. On s’arrangeait, fallait bien. Et puis ça a recommencé. Et puis ça s’est arrêté. C’est quand on a compris, quand tout était fini, que tout a commencé. Les trois mortes, c’est sûr, elles n’étaient pas inventées. Alors, enfer ou paradis, j’ai plus douté.

Qui sont les Gueux ? Ce sont ces hommes, ces femmes qui vivent en bordure des voies du RER , ceux qu’on ne voit pas ou qu’on ne veut pas voir et pourtant ils sont bien réels. Parmi ces Gueux il y a Môme qui perd la mémoire suite à un accident survenu il y a plusieurs années. Il y a Bocuse dit Boc’ qui cuisine ce que ces comparses lui rapportent…vous savez le contenu de nos poubelles qui contient de si honteux gâchis. Boc’ lui accommode les quelques légumes cultivés. Il y a Krishna, le penseur qui regarde tout ça de sa petite planète. Il a Capo qui assume le rôle d’organisateur et puis Betty Boop, l’écervelée à la langue trop pendue. Et puis Luigi, qui sort de prison après avoir purgé une peine pour un meurtre qu’il a avoué.
Mais voilà qu’il y a de nouveau des cadavres près des Gueux, un premier suicide et deux femmes qui n’ont plus leur tête …Luigi est bien vite soupçonné, qui s’enfuit en traînant son caddie, lui qui ne rêve que de retrouver sa Lula.

Evidemment  » les bleus » s’intéressent de très près aux Gueux et Blond, le flic, assisté de Christelle stagiaire au franc-parler  vont mener l’enquête.

Voilà brièvement pour l’histoire.

Ce roman d’Hervé Sard est un bijou de sensibilité et d’humanisme. Il nous fait regarder en face cette misère que nous côtoyons sans ( vouloir ) la voir. Il dépeint des Gueux bien plus dignes que beaucoup de  » bons bourgeois  » Ses personnages sont attachants, l’histoire prenante et surprenante même. Il nous ballade tout au long de ce livre avec un langage que j’admire, des pointes d’humour très appréciables, et vraiment, vraiment je vous le conseille car l’histoire est superbe de tendresse.

J’aime aussi les intitulés de chapitres qui plantent le décors : Quand on est mort on a la belle vie, Dieu ? Qu’il aille au diable ! etc 

Vous ne le connaissez pas encore ? Alors, commencez donc par ce titre et vous me direz ce que vous en aurez pensé.

Editions Rivages noir – N° 590
224 pages-Paru 15-03-06 -7.65 €

Hambourg 1995, le Bibby Kalmar est a quai, à son bord des réfugiés en attente depuis 6 mois d’une éventuelle régularisation, d’un toit  et d’un travail. Ils sont nombreux, ils sont moldaves, ukrainiens, chinois, roms, yougoslaves etc.
Pour survivre malgré la maigre allocation qui leur ai attribuée ils se livrent aux trafics de cigarettes, d’alcool et aux jeux. Le moldave dans sa coursive est le plus redoutable. Des parties de rami sont organisées.
Zoran, Zina et leurs deux enfants attendent comme tous les autres. Pour payer l’avocat qui pourra peut-être accélérer la décision de régularisation Zoran joue chaque soir et picole tout autant. A chaque étage des jeux et une nationalité différente …on ne se mélange pas trop.
Le bateau est surpeuplé, et il est le centre de tout ce roman, un personnage lugubre, effrayant, grinçant.
Arrivent Simmons, Pelletier et l’occidental ( l’interprète ) envoyés de l’Euroconscience. Ils viennent pour interroger les réfugiés sur leur condition de rétention sur la base de questionnaires. L’espace retrécit, les demandeurs d’asile étouffent, s’échauffent.
Un jour un ukrainien est tabassé et sombre dans le coma. Qui a fait ça ?
Voilà brièvement pour l’histoire de ce roman comme un huis-clos étouffant qui décrit les absurdités des consignes européennes, ses rivalités internes et ce désespoir pour tant de demandeurs d’asile.
J’ai beaucoup aimé le style de Thierry Marignac qui va droit au but, qui sait si bien rendre cet atmosphère particulière de ceux qui vivent dans l’attente, de ces hommes et femmes qui se demandent quand ils comparaîtront enfin un jugement.

Le bémol, c’est tout de même la lenteur du récit. Bien qu’A quai, j’aurais apprécié un peu plus de vivacité.

C’est un jeune homme parcourant la campagne chinoise qui va recueillir l’histoire d’un vieil homme, Fugui Xiu. Il est fils de propriétaire terrien. Il est mariée à Jiazhen avec qui il a eu une petite fille de 3 ans, Fengxia. Ils attendent un deuxième enfant. Ils vivent sous le même toit que les parents de Fugui.Fugui est dépensier, un «  fils indigne  » comme dit son père. Il fréquente les maisons closes et se met à jouer tant et si bien qu’il finit par ruiner sa famille. Son père hypothèque alors la maison et les terres. Fugui devra porter les sapèques à la ville chez Long’er.

Fugui comprit le message de son père :

Brusquement, je compris pourquoi mon père avait commandé des sapèques et non pas des pièces d’argent. Il voulait m’enseigner une vérité, me faire sentir combien l’argent était difficile à gagner. Cette idée me coupa les jambes. Accroupi au bord de la route , je me remis à sangloter en hoquetant, secoué jusqu’au bas du dos.

Fugui réclame 5 mou de terre à Long’er pour que sa famille puisse subsister. Fugui travaille durement sur la terre. Son père est mort et sa mère est au bout du rouleau.Jiazhen accouche d’un fils, Youqin et revient au domicile lorsque celui-ci a 6 mois.Devant l’inconscience de son gendre et le méprisant pour la ruine qu’il a provoquée, le père de Jiazhen vient la reprendre laissant Fengxia à la garde de son père. La famille doit quitter le domicile car Long’er en prend possession.

Mais bientôt la mère de Fugui tombe malade, il part en ville quérir un médecin…et là tout dérape. Il se fait embarquer par les soldats du Kuomintang. Lorsqu’enfin il pourra revenir chez lui, sa mère est morte et sa fille a été frappée par une maladie.

Curieusement, c’est la perte de leurs biens qui sauvera la famille. Long’er est fusillé en tant que propriétaire. Pauvres, Fugui et Jiazhen envoient leur fils à l’école et cherche à placer Fengxia. Puis c’est le collectivisme ( cantines, travaux des champs ) et les réquisitions, y compris le mouton de Youqin.

Et là s’arrêtera mon petit compte-rendu car je ne peux en dévoiler plus sans trahir le roman et les évènements qui vous y attendent. Je me demande même si je n’en ai pas déjà trop raconté. Vivre c’est ce qu’il reste au bout du compte, malgré les échecs, les deuils, et les déceptions.

Ce livre est moins intense que Brothers pourtant Yu Hua a réussi de nouveau à m’amener les larmes aux yeux.

Une belle façon de connaître la Chine et les vagues politiques successives.