Nadar - Alexander Dumas père (1802-1870)Si tu aimes les enquêtes et les fins tristes, je connais un bouquin pour toi.
Voilà : deux gugusses au passé bizarre font tout pour gagner un peu de fric grâce à la presse.
Ils sont tellement impertinents et hors normes, qu’ils y arrivent parce qu’ils râlent haut et fort.
Leur histoire devient une saga, ils dérangent le pouvoir.
Il y a des personnages absurdes, d’autres plus marrons, des benêts, des salauds aussi, des miséreux, des étrangers, des scandaleux, des proches du pouvoir.
C’est presque une histoire de mafieux, c’est même une histoire vraie, dont tout le monde connaît les protagonistes, oui, toi, tu les connais.
Ce bouquin parle d’indépendance, de communistes, d’anars, d’écolos et d’avocat soit-disant dessinateur.
Il y a un sergent-chef qui se fait enculer, des pétoires, une boîte d’édition qui s’appelle Kalachnikov.
On y trouve tout ce qui fait l’aventure humaine, du pognon, des héritiers, des jeunes, des vieux, un patron de radio.
On se retrouve dans fenêtre sur cour, on découvre des trucs qu’ont croyait acquis.
Si tu veux de la guerre d’Indochine ou d’Irak, y’en a. Du coup, il y a des larmes aussi.
On y apprend qu’un jour, en France, un huissier a voulu embarquer un homme endormi !
Cette réalité te fout les poils, il y a du verbe et de la godriole.
Et puis il y a la vie, des gens qui se foutent du pognon, de la gloire et de la retraite.
Des mecs bonheur, ne lachant rien, luisant la fraternité.
Voilà, c’est l’histoire de mecs qui ne calculent pas.
Pour être bête et méchant, ça finit triste.
Ça s’appelle Mohicans et c’est l’histoire de Cavanna et Choron jusqu’au Charlie Hebdo d’aujourd’hui.
Tu vois, tu la connaissais c’t’histoire.

mohicans

Post scriptum : Ajout de l’auteur

VieEntiere_couvUne vie entière c’est celle d’Andréas Egger, un homme ordinaire dont la vie débute dans le malheur. L’histoire d’un homme simple lié inexorablement aux montagnes, aux éléments.
Témoin de l’avancée du modernisme quand les promoteurs alléchés par le goût du retour au source des vacanciers vont commencer à ravager les paysages. Sous l’oeil d’Andréas la montagne et les années passeront laissant leur empreinte tandis qu’il s’interrogera parfois avec étonnement mais toujours bonté sur la course des hommes. Lui, qui sa vie entière sera quasiment resté au même endroit. Il découvre l’amour et les caresses, lui l’enfant qui n’a jamais connu la tendresse d’une mère ou d’une famille.
Robert Seethaler nous emmène loin avec ce roman, et surtout profondément dans le cœur d’Andréas, sa sagesse innée. Un récit de paysages, de curiosité, de malheur et de joie, un récit lumineux d’émotions qu’on lit d’une traite, savourant chaque phrases.
Je suis infiniment reconnaissante envers ma libraire qui m’a permis de le lire dans le cadre du club des lecteurs de la librairie. Impossible d’oublier les sentiments qui m’ont assaillie et le bonheur de découvrir cette Vie entière.
Vous devinez ? Je vous le conseille plutôt deux fois qu’une, d’autant plus en cette période de fin d’année.
Ci-dessous quelques extraits ( cliquer sur les photos pour les agrandir )

Roman traduit de l’allemand ( Autriche ) par Élisabeth Landes.

VieEntiere_1VieEntiere_2VieEntiere_3

 

 

 

 

 

 

NousAllonsTsTb_Daryl_Gregory_PàLBibOn le sait, la psychothérapie est une aide précieuse pour ceux qui ont vécu des traumatismes pour dans un premier temps peut-être accepter et digérer l’indicible. Poser des mots sur le vécu n’est pas chose facile, encore plus quand les écoutants restent réservés quant à la crédibilité de l’aveu, la confession, les faits. Dans Nous allons tous très bien, merci Daryl Gregory réunit cinq personnes ayant subies des choses tellement effroyables, tellement difficiles sur le plan physique que Jan la psychothérapeute du groupe les laisse tout d’abord se raconter, enfin, tout au moins au début surtout Stan survivant d’une famille cannibale. Ce sont des rescapés, deux femmes et trois hommes…rescapés de la folie, de l’horreur. Bien que parfois, exaspérés, fatigués et crevants de trouille, ils poursuivent la psychothérapie et viennent alors peu à peu les interrogations : Que me reste-t-il maintenant ? Pourquoi cela m’est-il arrivé ? L’auteur utilise le Nous, de cinq ils deviennent donc un groupe, une entité.
C’est un court roman ( ce qu’on appelle une novella ) teinté de fantastique, plein d’empathie et de très, très bonnes surprises.
Je le conseille chaudement. J’avais déjà été emballée par L’éducation de Stony Mayhall du même auteur chez le même éditeur, Le Bélial.
En fin du livre, vous trouverez une chouette et intéressante interview de l’auteur …à ne surtout pas lire avant l’histoire !
Couverture d’Aurélien Police – Traduction de Laurent Philibert-Caillat.
Disponible également en format numérique ( sans DRM ).

Cliquez le titre pour aller sur l’article

VL_HugoVientDeMourir_Perrichon_6_1122 mai 1885, Victor Hugo meurt après plusieurs jours d’agonie.
Judith Perrignon nous propose à travers ce roman de partager l’émoi collectif qu’a été celui des français à l’annonce de la perte prochaine de l’un de ses représentants les plus chéri du peuple.
C’est un roman documenté dans un style net et fluide qui a su me bousculer par sa simplicité et l’honnêteté de son récit.
Il est passionnant de voir comment la presse suit son agonie, comment le défilé des notables et grandes figures confisquent aux pauvres, aux misérables, aux ouvriers, ceux qui triment et courbent l’échine la possibilité de lui rendre un dernier hommage dans la sincérité de leurs convictions …drapeaux, place dans le cortège, slogans.
Affligeant, néanmoins fort peu surprenant finalement de constater comment le gouvernement va infiltrer les anarchistes, comment même certain zélé espère le débordement, quitte à en rajouter dans l’imagination de leur compte-rendu …tout est bon pour créer un climat de de peur.
L’intelligence de l’auteure est d’user du présent et de faire intervenir toute une galerie de personnages qu’ils soient intimes,amis,sa fille internée que personne n’a pris la peine de prévenir, ses petits-enfants traînant leur chagrin, journalistes, politiques et le peuple.
Et puis, évidemment il y a le clergé, offusqué, a qui le Panthéon est repris.
Ce mode de narration, d’un témoin à l’autre donne un bel aperçu de la tension et de l’émotion qui ont secoué la France et surtout, l’ébullition du monde ouvrier, de tous ces miséreux, leur chagrin et quelque part leur dégoût devant les décisions du pouvoir les privant d’aller se recueillir sur la tombe d’ Hugo. Un pouvoir politique qui s’approprie l’homme tout en lui faisant un hommage national.
J’ai appris pas mal de faits en lisant Victor Hugo vient de mourir. Je ne peux pas dire que j »en suis sortie indemne, loin de là…secouée, écoeurée par les répétitions à travers l’Histoire, oui celle-ci avec un H.
Beau roman paru chez L’iconoclaste, et encore une fois merci à la bibliothèque qui met tant de culture à disposition de ses usagers.
Deux extraits ci-dessous.

ExtraitHugoExtrait_Hugo2

lesnuitsdelaitue_VL_6_11Certains parmi vous le savent, je suis un rat de bibliothèque, d’ailleurs je participe au cercle des lecteurs et c’est dans ce cadre que j’ai eu le grand bonheur de lire Les nuits de laitue de Vanessa Barbara. Je tais le pourquoi du titre, c’est une belle surprise.
Le roman débute avec le décès inattendu d’Ada laissant démuni son mari Otto. Ada et Otto forment un couple attachant, l’humeur joyeuse d’Ada y participant de bien des manières.
Au fil des pages, Vanessa Barbara dévoile la vie de ce petit quartier aux maisons quasi collées les unes aux autres et des personnages hauts en couleurs avec qui j’en suis certaine vous passerez des moments formidables. Il y a Nico, apprenti pharmacien qui ne résiste pas à la lecture des notices des médicaments s’étonnant des effets indésirables, les citant même de mémoire. Il y a Anibal, le facteur qui distribue le courrier au petit bonheur la chance, un brin désorganisé et plein d’insouciance. Il y a Iolanda adepte de tout ce qui touche au mysticisme, Monsieur Tanigushi atteint de la maladie d’Alzheimer et d’autres encore. Tant de personnages attachants et surprenants qui donne à ce roman sa fraîcheur et sa gaieté malgré la solitude et le désarroi dans lequel la mort d’Ada plonge Otto lui-même amateur de roman policier. Et justement, c’est avec brio que l’auteur parvient à emporter le récit vers une révélation inattendue.
Un beau roman, plein d’humour, et d’amour, qui fait un souvenir de lecture plein de douceur et d’originalité dont je suis sortie réjouie et émue.

Les nuits de laitue de Vanessa Barbara est une publication Zulma.

PromeneurdAlep_Niroz_Malek-VL_6__11Le promeneur d’Alep c’est l’auteur choisissant sa ville qui, à travers quelques récits comme autant de fenêtres ouvertes sur le quotidien témoigne de l’absurdité et de la tragédie des conflits. Ce sont les barrages et les bombardements, des squares vides d’enfants et de rire, le sentiment de perte qui brouille l’instant présent devenu quasi fantômatique. C’est aussi se retrouver au café comme lutter pour conserver l’insouciance alors que les ombres circulent et qu’il faudra faire bien des détours sinueux pour rentrer chez soi sans avoir à affronter de barrages. C’est la nudité d’un enfant en pleine rue qui n’étonne plus.
C’est un récit comme autant de vignettes, de dessins crayonnés avec leurs ombres qu’il faut lire comme il vient avec le choc des émotions, le cœur et les dents serrés.
Un beau livre assurément servi par la traduction de Fawaz Hussain.

Le promeneur d’Alep est une publication des éditions du Serpent à plumes, existant en format papier et numérique ( sans DRM ).

L'antre du diable - Jacques Fuentealba  Editions Malpertuis - Février 2014 Ill. de Tim Chiesa 194 pages - 15 €

L’antre du diable – Jacques Fuentealba
Editions Malpertuis – Février 2014
Ill. de Tim Chiesa
194 pages – 15 €

L’antre du diable – Jacques Fuentealba

Ce retour de lecture est celui de Simon, 17 ans, l’un de mes fils. Je partage complètement son avis.

Ce livre de Jacques Fuentealba présente de nombreux intérêts à être lu.
En premier lieu, son style d’écriture très oralisé absorbe le lecteur et le rend très difficile à quitter.
En second lieu, ses références mythologiques sont très précises et montrées de manière inattendue. Il en va de même pour le protagoniste principal, Michael Finnegan, qui bien que croyant et ayant vu des preuves de l’existence de dieu n’est pas en extase mais plutôt cynique.
Ce décalage durant toute la lecture apporte sa dose d’humour et parvient ainsi, une fois de plus, à captiver le lecteur
Ce décalage et par ailleurs intéressant de par le fait qu’il permet de s’éloigner d’un énième roman apocalyptique stéréotypé, ici il nous surprend par son originalité, or quel est le but d’un livre si ce n’est de nous surprendre ?
L’antre du diable réussit ainsi à remplir son rôle de livre en nous offrant une vision apocalyptique burlesque mais pas dénuée d’intérêts par son originalité.

traverséeducontinentLa Traversée du continent – Michel Tremblay

 

« J’voulais juste faire un courant d’air. Y fait trop chaud, ici-dedans. »

Résignée, Rhéauna revient à sa place.
Une chose insolite se produit alors. Aussitôt que Régina s’installe au banc du piano, avant même qu’elle ne soulève le couvercle qui protège le clavier, un changement notable s’opère chez elle, quelque chose de subtil et de radical qui se perçoit même si Réhauna ne la voit que de dos. Ses gestes deviennent plus coulants, sa main caresse le bois verni, son corps, de raide qu’il était, prend une étrange molesse, et c’est avec une fébrilité très palpable qu’elle ouvre le cahier de musique qui se trouve devant elle. Elle le lisse lui aussi du plat de la main, mais son mouvement est beaucoup plus doux que lorsqu’elle chassait les miettes inexistantes de sa longue jupe, un peu plus tôt.
Elle se tourne vers sa nièce.
« C’est du Shubert. Connais-tu ça, Shubert ? »
Elle prononce le nom à l’anglaise, en faisant sonner le t de la fin, comme si monsieur Shubert en question, dont Réhauna n’a d’ailleurs jamais entendu parler, était un compositeur américain. Ou un de ses amis de Regina qui se consacrerait à la musique à temps perdu.
Le visage de la vieille dame est transformé. Ce même monsieur Shubert est donc une sorte de dieu qu’elle vénère sans condition ? Réhauna a vu ce visage-là chez les quelques dévotes de Maria que Joséphine appelle les grenouilles de bénitier et qui sont transfigurées au moment de la sainte communion ou devant un sermon particulièrement virulent de leur gros curé. Sa tante Régina va-t-elle lui jouer de la musique d’église ? Au piano plutôt qu’à l’orgue ? Réhauna se carre dans son sofa . Après tout, mieux vaut de la musique d’église, même au piano, que ce silence insupportable qui pesait sur elles jusque-là.
Les minutes qui suivent sont d’une telle beauté que Réhauna reste rivée à son siège. Elle n’a jamais entendu un piano de sa vie, elle ne connaît rien à la musique – à part le petit orgue de l’église, il y a bien monsieur Fredette, à Maria, le violoneux de service qui sévit à tous les anniversaires et à tous les mariages, mais son instrument griche trop pour qu’on puisse appeler ça de la vraie musique et monsieur Fredette lui-même sent trop fort pour qu’on s’attarde à l’écouter de trop près -, mais ce que les doigts de sa grand-tante Régina produisent au contact des touches blanches et noires du clavier, ce bonheur presque insoutenable dont elle ne soupçonnait pas l’existence, cette force irrésistible qui la brasse tout en la caressant, la transporte de bonheur, elle qui pensait à se sauver en courant de cette maudite maison quelques minutes plus tôt tant elle était découragée. Qui aurait cru qu’autant de beauté se cachait chez la tante Régina, le paquet de nerfs que toute la famille redoute, la colérique qui n’accepte aucune contrariété, cette personne menue et de toute évidence fragile qui ignore tout des enfants ; qu’elle possédait l’un des plus grands secrets de l’univers ? Et qu’elle le garde caché ici, entre quatre murs, alors qu’elle devrait le partager avec tout le monde parce ue tout le monde en a besoin pour survivre ?
C’est donc ça la musique ? Ça peut être autre chose que les fausses notes de sœur Marie-Marthe, le dimanche matin, et le grincement insupportable de l’instrument de monsieur Fredette ? C’est donc vrai que ça peut être beau ?
Ça commence en douceur, on dirait une berceuse murmurée par une grand-mère qu’on adore, on dirait surtout qu’on connaît cet air-là depuis toujours – il semble familier dès la première fois u’on l’entend-, mais aussitôt que la musique est imprimée dans le cerveau et qu’on est convaincu qu’on ne pourra plus jamais s’en débarasser, au moment où on commencerait à souhaiter que ça reste comme ça, sans variantes, parce que c’est parfait, ça change de rythme, tout à coup, ça se développe, ça monte et ça descend comme quand on rit, ça gronde, aussi, ça menace et ça tire les larmes parce qu’un grand malheur se cache là-dedans autant qu’une immense joie, puis, tout aussi soudainement, ça redevient mélancolique et le si bel air du début fait un retour en force, plus magnifique que jamais dans sa grande retenue. C’est ça qu’on veut conserver, d’ailleurs, c’est ça qu’on veut transporter pour le reste de sa vie, ce petit air tout simple du début et de la fin qui va pouvoir vous soulager dans les moments difficiles de l’existence et décorer les moments de bonheur d’un ravissement de plus. Ça se termine pas, non plus, on dirait plutôt que ça s’efface, que ça s’estompe, jusqu’à ce qu’on ne l’entende plus. Ça continue, il faut que ça continue, ça ne peut pas s’arrêter, mais on ne l’entend plus, c’est tout. Les mains ne se promènent plus sur le clavier, aucune vibration ne surgit de l’instrument, et cependant ça se perpétue dans le silence qui succède.
Ça a duré combien de temps, cinq minutes, vingt ? Réhauna ne saurait le dire, tout ce qu’elle sait c’est qu’elle voudrait que ça ne s’arrête jamais. C’est ça, l’éternité.

Neil Jomunsi #ProjetBradbury : nouvelle 31 à 40

1erjour-PB-31Premier jour , nouvelle 31 :

Katherine est aux anges. Au terme d’une carrière politique exemplaire, elle vient enfin de réaliser son rêve : devenir Présidente des États-Unis d’Amérique. L’investiture se déroule selon le protocole et la nouvelle femme la plus puissante de la planète prend bientôt possession du Bureau ovale. Un militaire frappe alors à la porte. Sa mission : dévoiler à la Présidente les secrets les mieux gardés de l’État. Autant dire que Katherine n’est pas au bout de ses surprises.

On se demande souvent quels sont les secrets d’état, parce qu’on est pas dupe il y en a forcément. Avec Premier jour les révélations vont crescendo. Katherine a bossé dur pour être élue pourtant rien ni personne n’aurait pu la préparer à ce que, ahurie, elle découvre sous le regard plutôt amusé du chef des armées. C’est une amusante et divertissante nouvelle et Neil Jomunsi y a inséré des clins-d’oeil savoureux. L’usage possible des clones m’a franchement bien fait rigoler.

Un extrait pour la bonne bouche comme on dit :

Il n’avait droit de savourer ce tour de manège qu’une fois tous les quatre ans, moins lorsque le Président était réélu : il distillait donc ses révélations avec gourmandise de l’ascète visitant sa première usine de chocolat.

Lire le billet de l’auteur à son sujet.
Nano-PB-32Nano, nouvelle 32 :

Zack Fleischer est un journaliste high-tech qui a traversé les époques et les innovations jusqu’à devenir la référence mondiale en matière de critique technologique. Mais les temps ont changé, et ses rêves d’enfant ne se sont jamais réalisés : au lieu des robots qu’il imaginait, le futur a préféré se doter de nano-machines qui répondent désormais à tous les besoins des êtres humains. La lassitude aidant, le journaliste décide de prendre quelques jours de repos.

Je l’ai déjà dit après avoir lu Hacker, un monde voué à n’être plus que technologies me fait peur, et ce n’est rien de le dire, alors évidemment cette nouvelle, Nano,m’a encore plus alarmée. On peut me faire lire des trucs avec des hectolitres de sang, des meurtres monstrueux ça ne me fera pas autant palpiter de trouille que de lire ou visionner des œuvres projetant le monde vers ce modernisme affolant. Bon, bien sûr y a de bonnes intentions parfois. Bref !
Zack je ne l’aime pas : il fait la pluie et le beau temps dans les médias, il est orgueilleux et même sa vieillesse ne me rend pas plus indulgente à son encontre. Pour tout vous dire c’est limite si j’ai pas pensé : «  bien fait pour lui ».
Nano…c’est humour et ironie avec une bonne pincée de noirceur humaine.

Citation :
On avait beau inventer toutes sortes de choses, on n’avait pas encore trouvé le moyen de ne pas déféquer au moins une fois par jour. L’ironie de la nécessité ne manquait jamais d’amuser le journaliste.

L’article de blog
l'oeildesmorts-PB-33L’oeil des morts, nouvelle 33 :

La Nouvelle-Orléans est une ville envoûtante, dans tous les sens du terme : outre ses fantaisies architecturales, ses carnavals morbides et ses marais dont l’odeur imprègne les murs comme les hommes, elle abrite des secrets dont des mortels ne devraient jamais se mêler. Fraîchement débarqué pour un séjour touristique, un écrivain fait la connaissance d’un garçon étrange. Leur parcours suivra celui de l’ouragan Katrina et les mènera sur les traces de ceux qui attendent dans la terre des marais.

Le personnage principal est La Nouvelle-Orléans, ville dont l’odeur saisit et pénètre le narrateur. Nous cheminons à ses côtés. La Nouvelle-Orléans semble isolée, comme à part de tout. Bien sûr il y a eu Katrina et bien sûr les vestiges sont toujours présents. Pourra-t-elle un jour se relever complètement d’un tel drame ? Et puis, il y a Napoléon, ce jeune guide marqué par la tragédie auquel le lecteur attache également ses pas.
C’est une nouvelle empreinte de lenteur à l’image de la moiteur de la cité, l’impression d’être suspendue entre passé et présent. Il y a cette émanation puissante et envoûtante d’un héritage qui pousse et tire, murmure et gronde quelque part.
J’écris cet article de blog en relisant ces nouvelles et je m’aperçois que je les redécouvre sous un autre jour, le temps a filé et L’oeil des morts me touche encore bien plus aujourd’hui qu’à sa sortie.

Citation :
Cette pestilence me pénétrait corps et âme et me tordait le ventre, tant de douleur que de tristesse.

Présentation de la nouvelle par l’auteur
cartepostale-PB-34Carte postale, nouvelle 34 :

Après avoir expérimenté avec succès sur un vieux chimpanzé, Pierre et Marie sont sur le point de faire une découverte scientifique majeure : grâce à un composé de son invention, le scientifique, aidé par son épouse, va interrompre ses battements cardiaques pendant quelques minutes. Quand il reviendra d’entre les morts, il pourra enfin raconter au monde ce qui se cache derrière le voile. Mais l’expérience ne se déroule pas comme prévu.

Un sujet classique pour cette nouvelle. Carte postale est bien menée et écrite aucun doute là-dessus mais elle n’entre pas dans mes coups de cœur pour le Projet Bradbury.

Le billet
spot-PB-35Spot, nouvelle 35 :

Lizzie Carvalho aimerait bien se sortir de la spirale infernale dont elle est prisonnière : après les échecs de ces dernières années, l’ancienne détective privée émérite a touché le fond, tant d’un point de professionnel que personnel. Mais une nouvelle affaire frappe à sa porte, lui donnant ainsi une chance de rebondir : il s’agira d’enquêter dans l’univers des publicités holographiques. Et on ne peut pas dire que ça l’enchante.

Absolument loufoque, complètement jubilatoire cette nouvelle ! Un mélange de Roger Rabbit, Thursday Next et Où est Charly ce qui vous avouerez n’est pas rien. Ça galope de partout, c’est foisonnant, vous l’aurez compris Spot m’a enchantée. Si comme moi, vous lisez ce Projet Bradbury dans l’ordre de parution de ses nouvelles, vous verrez que Spot est en quelque sorte une bouffée d’oxygène. Ceci dit, j’espère bien que les publicités ne nous envahirons jamais à ce point, ce que nous «  subissons » est bien assez , même si je reconnais à certains publicistes en grand talent. Et puis, Spot ressemble tellement à une enquête à «  l’ancienne ». Une belle réussite, un chouette divertissement.

L’article de blog
lejourdugrandorage-PB-36Le jour du grand orage, nouvelle 36 :

Cela fait si longtemps que je regarde la pluie tomber que je ne me souviens plus du jour où je me suis arrêtée ici. Il faisait si sombre, si noir, et j’ai eu si peur quand je suis arrivée que j’aurais voulu crier de toutes mes forces. Mais la rivière a apaisé mes craintes et, maintenant, je regarde les étoiles en attendant qu’elles descendent. La nuit, je me souviens du jour du grand orage.

Neil Jomunsi a raison, il est impossible de parler de cette nouvelle sans prendre le risque d’en dévoiler trop. Je me limite donc à signaler sa finesse d’écriture, la richesse des descriptions, tous ces mots et phrases comme une danse des voiles révélant peu à peu l’histoire.
Une nouvelle qui m’a considérablement émue. J’admire cette prouesse narrative.
Sur le blog
surlaroute-PB-37Sur la route, nouvelle 37 :

D’aussi loin qu’Aaron puisse se souvenir, il s’est toujours trouvé dans la file d’attente. Inlassablement, la procession franchit plaines et déserts, montagnes et vallées, s’étendant sur des milliers de kilomètres depuis si longtemps que plus personne ne sait vraiment pourquoi il fait la queue. Dans une quête de sens obscurcie par l’absurde qui rôde, les hommes naissant, vivent et meurent en file indienne… mais pour quelle raison ?

Malgré l’élégance de l’écriture, la sensibilité qui en jaillit quasiment à chaque phrases, Sur la route est pour moi trop inerte, une ligne droite sans issue juste ce point à l’horizon à chaque jour renouvelé. Peut-être aussi parce qu’en la relisant le sentiment qui m’avait saisit à la gorge m’a repris plus violemment encore : le non-sens, le néant, l’absurdité …la sueur froide tout simplement. La vie se résumant à une quête sans issue, ça fait peur.

Le billet

zombeek-PB-38Zombeek, nouvelle 38 :

On devrait interdire aux enfants de lire de la science-fiction : ça ne fait que leur attirer des ennuis. Voyez Rick, par exemple : un jeune homme plutôt sympa de prime abord, mais qui dissimule son sadisme derrière un doctorat de biologie moléculaire. Même chose pour Monster, pour qui les cartes Magic sont plus qu’une passion, carrément un sacerdoce. Moi, je compte les points et j’attends que les morts se relèvent, là, dans le garage où nous faisons nos expériences.
Retour à l’humour dans cette nouvelle et quel humour ! Présenter la lecture comme un énorme danger potentiel, fallait oser le faire d’autant plus lorsqu’il s’agit de Science-Fiction. Lire Neil Jomunsi expliquer la grossetêtification des mômes a été un vrai régal. Un rendu très visuel tout au long de Zombeek . J’ai revu les parties endiablées de mes fils à Magic, d’ailleurs ils n’ont pas cessé d’y jouer…serait-il temps que je m’en inquiète ? Ici, pas de cabane au fond du jardin, non, un garage et en route pour les expériences les plus follesdingues.

Pensez-bien que le môme a trouvé un moyen de se farcir la tête de conneries pour pas un rond et qu’il compte bien exploiter le filon jusqu’à la fin des temps. Toutes les bibliothèques, même les plus minables, ont un rayon «  Science-Fiction ». Contre son pouvoir d’attraction, votre autorité est impuissante.

L’article
panoptikon-PB-39Panoptikon, nouvelle 39 :

Jacob n’est pas un prisonnier comme les autres : pour une raison qu’il ignore, le pénitencier dans lequel il est enfermé est vide. À chaque fois qu’il s’endort, une assiette l’attend devant les barreaux à son réveil. Malgré les apparences, quelqu’un le surveille donc en silence.

Il faut avouer que l’incarcération, ou plus généralement, la notion de punition carcérale sont un sujet qui revient fréquemment. Les sociétés y compris les plus «  modernes » en débattent, que ça soit en nombre d’années, ou de milieu. Punir, soit, mais cela a un coût bien réel. Avec Panoptikon Neil Jomunsi planche aussi sur ce sujet.
Panoptikon est glaçante, attendez-vous à une sacrée descente.

Le billet de l’auteur

ghostwriter-PB-40Ghostwriter, nouvelle 40 :

Quand Katherine, sa mère et ses deux soeurs arrivent au bal que donne le jeune lord Huntchington dans le petit village de Langdon Shores, Angleterre, elles sont émerveillées : il faut dire qu’à la campagne, les occasions de se divertir se font rares. Mais alors que l’orchestre entame un quadrille endiablé et que les pieds des danseurs claquent sur le parquet ciré, Katherine ressent une gêne : la scène ne serait-elle pas un peu trop « cliché » ?

Quand l’un des personnages a des velléités littéraires et contredit l’auteur, ça bougonne, ça réagit vivement et surtout ça fait rire les spectateurs ! Voilà, Ghostwriter pour moi ça été une pièce de théâtre bien plus encore qu’une salle de bal. On ne s’étonnera pas que j’ai subitement eu l’envie irrésistible de relire L’affaire Jane Eyre de Jasper Fforde. Quand l’auteur se prend une bonne leçon s’est amusant, d’autant que certains le mériteraient amplement parfois.
Un bien bel hommage en tout cas.

Sur le blog ActuaLitté
Arrivée ici, je peux confirmer encore une fois que ma décision de soutenir et suivre semaines après semaines le Projet Bradbury et son auteur, Neil Jomunsi est une très bonne chose ; non seulement par l’éventail de lectures proposé mais aussi par le cheminement créatif de l’auteur et les réflexions qu’il mène depuis le début, ces réflexions qui ouvrent sur l’échange et la diversité. C est intéressant, riche, et essentiellement humain et dénué d’artifices. Ici, je crois que ce que j’apprécie le plus c’est la sincérité qui émane de toute cette charge créative. Il ne cherche pas à appâter pour vendre un produit, non, Neil nous fait la conversation tout au long de chemin. Chaque semaine apporte sa surprise. Parlant de ça, je peux dores et déjà vous dire que la nouvelle #42 vaut le détour. Jamais je n’avais eu l’occasion de lire une histoire rendue dans ce style. Une vraie prouesse, un truc de fou !

Comme toujours, ces nouvelles peuvent être achetées à l’unité, ou en intégrale, la troisième venant d’être publiée et sont disponibles chez Amazon, Kobo, Youscribe, Apple et Smashwords. Et vous pouvez aussi souscrire au Projet Bradbury.

Comme d’habitude d’autres retours de lectures chez Deuzeffe  et Deidre

Les couvertures toutes plus belles les unes que les autres sont de Roxane Lecomte

Je renouvelle mon MERCI à Neil ! merci et BRAVO !

 

James.G.BallardQue notre règne arrive – J.G. Ballard

 

 » – Et le cycle se répète. » Je m’adossai, conscient du souffle brûlant de Maxted dans l’atmosphère. » D’autres attaques racistes et incendies, d’autres hôtels pour immigrants brûlés de fond en comble. Alors comme ça, les gens de la voie rapide en ont assez de mâchouiller des brindilles. Une question se pose, quand même. Qui organise des crises de folie ?

– Personne. C’est ce qui fait la beauté de la chose.La psychopathie élective attend en nous, prête à surgir dès que le besoin s’en fait sentir. Il s’agit d’un comportement de primate dans ce qu’il y a de plus extrême. Les chasses aux sorcières, les autodafés, les bûchers d’hérétiques, le tisonnier brûlant enfoncé dans le fondement de l’ennemi, les gibets à l’horizon. La folie choisie peut infecter une résidence ou une nation entières.

– L’Allemagne des années 30 ?

– Très bon exemple. Même de nos ours, on s’imagine que les chefs nazis ont entraîné le peuple allemand dans les horreurs d’une guerre raciste. C’est ridicule. Les allemands étaient prêts à tout pour s’évader de leur prison. La défaite, l’inflation, les réparations de guerre grotesques, la menace des barbares orientaux. Devenir fous leur redonnait la liberté, alors ils ont choisi Hitler pour mener la chasse. Voilà pourquoi ils sont restés unis jusqu’au bout. Ils avaient besoin d’adorer un dieu psychopathe, ils ont recruté un M.Personne, et ils l’ont hissé sur l’autel le plus élevé. Les grandes religions font ça depuis des millénaires.

– Des états de folie élective ? Le christianisme ? L’islam ?

– De vastes systèmes d’illusion psychopathe qui ont tué des millions de gens, déchaîné des croisades et fondé des empires. Grande religion égal danger. De nos jours les gens sont prêts à tout pour croire, mais ils n’atteignent Dieu qu’à travers la psychopathie. Regardez les endroits du monde les plus religieux – le Moyen Orient et les Etats Unis. Ce sont des sociétés malades, dont l’état va empirant. Les gens ne sont jamais plus dangereux que quand ils ne peuvent plus croire d’en Dieu.

– Mais en quoi d’autre peut on croire ?  » J’attendis une réponse, pendant que le psychiatre regardait le MétroCentre par la fenêtre panoramique. Mon hôte avait les poings crispés en l’air comme s’il cherchait à stabiliser le monde qui l’entourait.  » Docteur Maxted ?

– En rien. Hormis la folie. » Après s’être ressaisi, il se retourna vers moi.  » Les gens ont l’impression que l’irrationnel est fiable. Qu’il offre la seule garantie de liberté face à l’hypocrisie, aux salades, à la pub dont les abreuvent politiciens, évêques et universitaires. Alors ils redeviennent volontairement primitifs. Ils sont en quête de magie et de déraison, parce qu’elles se sont révélées bien utiles par le passé et qu’elles leur serviront peut-être à nouveau. Ils ont envie d’entrer dans un nouvel Age Noir. Les lumières sont là, mais elles s’éloignent dans la nuit intérieure, la superstition et la déraison. L’avenir verra entrer en compétition les grandes psychopathies, toutes délibérées, toutes issues d’une tentative désespérée d’échapper au monde rationnel et à l’ennui du consumérisme.

– Le consumérisme mènerait à la pathologie sociale ? C’est difficile à croire.

– Il lui ouvre le chemin. La moitié des produits qu’on achète de nos jours n’est guère constituée que de jouets pour adultes.Le danger, c’est que le consumérisme a besoin de quelque chose de très proche du fascisme pour continuer sa croissance. (…)

– Mais pas de bottes cavalières, fis-je remarquer. Ni de Führer fulminant.

– Pas encore. De toute manière, ils appartiennent à la politique de rue. Nos rues à nous sont les chaînes du câble. Nos insignes du parti, nos cartes de fidélité or et platine. Ça vous paraît un peu ridicule ? D’accord, mais tout le monde trouvait les nazis vaguement marrants. La société de consommation est une sorte d’Etat policier mou.On croit avoir le choix, mais tout est coercitif.Si on n’achète pas encore et toujours, on est mauvais citoyen. Le consumérisme crée d’énormes besoins inconscients, que seul le fascisme peut satisfaire. En fait, le fascisme est la forme que prend le consumérisme quand il opte pour la folie élective. »

traduit de l’anglais par M.Charrier

moi,peterpanMoi, Peter Pan de Michael Roch

 « Ici, les enfants perdus chassent les bêtes sauvages, les bêtes sauvages font peur aux indiens, les indiens s’en prennent aux pirates et les pirates poursuivent les enfants perdus. 

À quoi ça sert de danser, d’aimer, et de se plaindre, de voler, d’avoir peur, ou de rire, de se battre, de dormir, de crier, de faire la fête ou d’être libre, si c’est pour se mordre la queue ? Moi, Peter Pan, je me joue de tout ça. »

Qui ne se souvient pas de Peter Pan et des enfants perdus ? Wendy, le Capitaine Crochet et le terrible crocodile ?

couv1PeterJ’avoue que je ne m’attendais pas à ce type de texte, parce que, oui, ce fut une très bonne surprise de trouver dans ce récit tant d’intensité et de poésie. C’est un beau tour que m’a joué Michael Roch m’invitant à travers des images oniriques et des réflexions quasi philosophiques à suivre ses personnages dont bien sur Peter Pan. Un Peter Pan qui a changé, et n’est pas prêt à céder ni faire de concession, parce qu’il n’est pas «  linéaire » comme il le dit lui-même lors d’un face à face avec Crochet. Les dialogues sont truculents, les épithètes réjouissants, certaines situations cocasses, notamment celle avec Crème brûlée évoquant la relation amoureuse et sa « rivale » Wendy.

Une nuit, elle entre comme une tempête dans la cocabane. Elle arrache ma couverture de jute avant même que j’arrive à transformer mon air triste en joli masque-sourire. Elle me couv2Peterregarde avec les yeux plissés d’un chat sauvage, elle bande son corps comme la corde d’un arc prêt à décocher et elle m’envoie à la figure une salve de mots dont l’ordre et le sens se perdent dans la cahute. Je ne comprends pas tout.(…)Elle me parle de sirènes qui t’embrassent pour un oui ou pour un non, de Wendy qui est toujours là, dans ma bouche, mais qui ne reviendra pas, de tout un tas de trucs à propos du cœur et des aiguilles qui le picotent et des bonds qu’il fait à l’improviste et des fêlures qui le brisent et des vagues de chaleur qui enflent et qui refluent et des cicatrices qui ne se referment pas avant longtemps. 

En fait notre Peter est adepte de la simplicité, c’est ainsi que je le ressens pour ma part. Cette simplicité n’est pas dénuée de bon sens, au contraire.

Je ne sais pas s’il faut être sérieux quand on parle du cœur, et de tout ça, autour. Tout ça devrait être aussi léger qu’une fleur d’automne ou la plume d’un urubu. Elle me répond que si, c’est sérieux : il y a, depuis quelques semaines, comme un voile épais entre nous et de lourdes ténèbres se sont abattues sur son être. Elle affirme que tout ça, ça ne veut rien dire et tout dire à la fois. 

Couv3PeterJ’ai été touchée par ce récit empli de simplicité, et de générosité. Je retournerai bien dans ce pays pour moi aussi emménager dans une cocabane loin de tous les discours qui nous emmêlent les pinceaux, et nous font sombrer dans des nœuds de non-sens et de ridicules saccageant notre légèreté et notre insouciance, nous réduisant à sans cesse nous questionner là où il n’y a qu’évidence. Pourtant on a tous nos bestioles qui nous chatouillent le bidon ; et il n’y a qu’une bonne étoile par personne.

Un grand merci à Michael pour ce magnifique récit dont j’attends les prochains épisodes avec bonheur et tendresse. Oui, bon, j’ai le droit de dire que j’ai ressenti un gros élan de tendresse pour ce texte sans paraître mièvre ou fleur bleue tout de même ! Et puis, flûte je revendique toutes les émotions qui m’ont remuée, et qui ont chahuté mes poux et autres bestioles intérieures. Et ça fait du bien et j’en redemande. 

N’hésitez pas à aller lire le premier chapitre si vous avez encore des doutes ( Gné ? ). Il est en lecture libre et gratuite sur Youscribe.

Ce livre est bien sûr sans DRM et sous licence Créative Commons. Disponible au prix tout doux de 99 cts chez Amazon,  Kobo  et Nook  et bien sûr Youscribe.

Enfin, suivez l’actualité de l’auteur, Michael Roch via son blog , ou sur twitter : @MchlRoch 

lhomme-chauve-sourisL’homme chauve-souris – Jo Nesbo

– « Est-ce que tu t’es déjà trouvé seul en l’air, Harry ? Tu as déjà volé ? Est-ce que tu as sauté de très, très haut, et senti l’air essayer de te porter, te recevoir et caresser ton corps ? »

Joseph avait déjà correctement entamé la première bouteille, et sa voix s’était enrichie d’un timbre chaud.

Le regard brûlant, il décrivit à Harry la beauté d’un saut en chute libre :

«  Ça réveille tous les sens. Tout ton corps te crie que tu ne peux pas voler. « Mais je n’ai pas d’ailes », te crie-t-il en essayant de couvrir le boucan de l’air qui siffle dans tes oreilles. Ton corps est persuadé qu’il va mourir et tire tous les signaux d’alarme – réveille complètement tous tes sens pour savoir si l’un d’entre eux arrive à trouver une issue. Ton cerveau devient l’ordinateur le plus puissant qui soit, il enregistre tout ; ta peau sent la température qui monte au fur et à mesure que tu tombes, tes oreilles sentent la pression qui augmente, et aucune ride ni aucune nuance chromatique ne t’échappe dans la carte que tu as sous toi. Tu peux même sentir la planète qui s’approche. Et si, à ce moment là, tu arrives à repousser la peur de la mort au second plan, Harry, tu es pour un instant un ange, à tes propres yeux. Tu vis une vie entière en quarante seconde.

– Et si tu n’arrives pas à repousser cette peur de la mort ?

– Il ne s’agit pas de la repousser complètement, juste de la mettre au second plan. Parce qu’elle doit être présente, comme un son clair et perçant, comme de l’eau froide contre la peau. Ce n’est pas la chute, mais la peur de mourir, qui réveille les sens. Elle apparaît d’un coup, comme un rush dans tes veines, au moment où tu quittes l’avion. Comme se piquer. Elle se mélange ensuite à ton sang, et te rend bien-heureux et fort. Si tu fermes les yeux, tu peux la voir comme un beau serpent venimeux qui te regarde de ses yeux reptiliens.

– Tu parles de ça comme si c’était une drogue, Joseph.

– Mais c’est une drogue ! Répondit Joseph qui gesticulait maintenant à qui-mieux-mieux. C’est exactement ça. Tu veux que la chute dure toujours, et quand tu auras sauté un certain nombre de fois, tu remarqueras qu’il t’est de plus en plus difficile de tirer sur la poignée d’ouverture du parachute.Tu finiras par avoir peur d’une overdose, un jour, et de ne pas tirer sur la poignée, et là, tu arrêtes de sauter. Et c’est là que tu te rends compte que tu es devenu dépendant. L’abstinence te déchire, la vie te semble dénuée de sens, triviale, et tu te retrouves à nouveau tassé derrière le pilote dans un vieux Cessna qui met des plombes à monter jusque dix mille pieds, ce qui ne l’empêche pas de te grignoter toutes tes économies. »

Roman traduit du norvégien par Élisabeth Tangen et Alexis Fouillet 

GardiensVéritéLes gardiens de la vérité – Michael Collins

J’appelle celui-ci «  Ode à un directeur stagiaire ».

Quand vous entrerez dans notre ville, j’aimerais que vous lisiez ce qui suit, pour vous éclairer sur la façon dont ça se passe ici, avec nous, à ce moment de l’histoire. C’est vraiment la chose à faire. Même au Moyen Age ils mettaient des panneaux où on pouvait lire : « Peste ! Défense d’entrer ! »

Voilà ce que je dirais…

Nous n’avons rien fait dans cette ville depuis plus de dix ans. C’est comme si la peste s’était abattue sur nos hommes, tout aussi horrible que les dix plaies d’Égypte. Avant, nos hommes fabriquaient des voitures, des feuilles de métal, des caravanes, des machines à laver et des sèche-linge, des encadrements de porte, des poutrelles d’acier pour les ponts et les gratte-ciel. Notre ville avait dees contrats avec Sears, Ford et General Motors. Tout le monde travaillait dans une usine, on pliait le métal pour lui donner la forme d’ailes de voiture, de joints de culasse, de culasses, de têtes de Delco, et on cousait des sièges de vinyle pour des Cadillac et des Continental. Les mains nous démangeaient de faire quelque chose. Les usines étaient nos cathédrales, qui avaient poussé dans les Grandes Plaines.

Autrefois le vacarme, le grondement souterrain des machines emplissait notre conscience. Vous auriez ressenti le son répété des marteaux-pilons sous notre couche de neige quand l’hiver s’abattait et nous fermait au monde extérieur, transformant les choses tandis que la neige lourde tombait sur les plaines et nous isolait.Nos fourneaux saignaient dans la neige, un creuset de feu parmi les plaines. La paix régnait à l’époque, et la sécurité, on roulait tous sous les globes des lampadaires dans les rues labourées, on rentrait lentement chez nous en voiture, épuisés, tandis que les machines de notre existence avalaient l’équipe de nuit. Vous auriez vu le lent serpent des trains chargés des voitures luisantes que nous avions fabriquées partir vers les grandes villes des côtes Est et Ouest.

Si vous étiez venus nous rendre visite dans la chaleur brûlante de l’été, vous auriez vu nos hommes dans des T-shirts jaunes pleins de taches, ruisselants de sueur, qui mangeaient au bord de la rivière dans des gamelles en fer, et descendaient du Coca-Cola glacé et des seaux de bière fraîche. Vous auriez vu comment ils s’essuyaient la bouche de l’avant-bras, avec une grande satisfaction, avant de se lever, de s’étirer et de faire le tour des cours d’usine en tirant de longues bouffées de leur cigarette. Vous auriez peut-être entendu le bruit sec d’une batte de base-ball pendant la pause du déjeuner, nos hommes couraient d’une base à l’autre autour des terrains derrière les usines, et lançaient des balles au-delà du périmètre des grès brun de notre existence. Il y avait de la bière bon marché dans l’obscurité des bouges pour les hommes qui en avaient besoin, et tout un assortiment de putains dans le vaste labyrinthe des viaducs et des mares de refroidissement des fonderies. Nous avions aussi une fabrique de chocolat, dans laquelle nos jeunes femmes coiffées de toques de pâtissières collaient des caramels au lait sur des plaques de cuisson cirées. Vous les auriez rencontrées en train de fumer, accotées aux murs de grès noircis, de pâles fantômes couverts de farine. Elles avaient cette luxueuse odeur de cacao et de cannelle incrustée dans les pores de la peau.

Et par une chaude nuit d’été, vous nous auriez trouvés dans le destin collectif d’un drive-in en voiture dans l’air chaud et humide de l’été vous auriez entendu les cris perçants dans le réseau de l’horreur de vivre pendant la guerre froide, alors que des fourmis géantes nées d’un holocauste nucléaire attaquaient la ville de New-York.

Il y avait un mouvement permanent dans notre ville, dense et inépuisable, autonome, l’alimentation éternelle des fourneaux se poursuivait nuit et jour avec nous dans un isolement magnifique, les gardiens de l’industrie. Vous auriez pensé, comme nous, que les moyens de production ne cesseraient jamais de fonctionner, mais vous auriez eu tort.

Aujourd’hui, nos usines près de la rivière sont abandonnées, les fenêtres crevées, des touffes d’herbe poussent à travers les toits effondrés. Nous sommes en guerre contre nous-mêmes dans la plus grande calamité que notre nation ait jamais affrontée. Nous nous entre-tuons dans des échanges truqués, dans un marché noir de la drogue qui se déroule à l’ombre de nos cathédrales abandonnées. Nos adolescents se glissent parmi ces ruines, escaladent les clôtures fermées par des chaînes, arrachent les tuyaux de cuivre des usines, et les vendent. Des issues de secours rouillées conduisent à des escaliers qui vont vers l’oubli et les ténèbres. On traîne, dans les cours, des machines à l’allure préhistorique que l’on cannibalise de tout ce qui a de la valeur, carcasses de l’industrie. Nos filles écartent les jambes sur le plancher d’ateliers dans lesquels autrefois nos hommes martelaient de l’acier. Nous sommes encerclés par des champs de maïs, cernés par des récoltes dont la culture ne paie plus. La bourse de commerce a été liquidée. Il y a des montagnes de beurre et des montagnes de blé, des stocks de nourriture en train de pourrir, qu’il faut détruire à cause de la surproduction et de la chute des prix.

Nous sommes à présent une ville de directeurs stagiaires.Oh, heureux sommes-nous qui avons hérité de la friteuse ! Maintenant, nous mangeons. Cela est devenu notre unique occupation, nos mains oisives ont trouvé quelque chose à attraper. Nous attrapons surtout des hamburgers, dans une manifestation carnivore de désir sublimé pour nos machines mortes. Nous avons McDonald’s, Burger King, Arby’s, Hardee’s, Dairy Queen, Shakey’s, Big Boy, Ponderosa, Denny’s, International House of Pancakes…

Mais cela vous ne le lirez jamais sur des panneaux aux portes de notre ville.

Roman traduit de l’anglais ( États-Unis ) par Jean Guiloineau

interim#21Interim, nouvelle 21 :

La Fin des Temps, celle décrite dans la Bible et colportée depuis des millénaires par les amateurs d’Apocalypse de tous poils, a finalement débuté. Dans une petite ville perdue en pleine Sibérie, on organise la résistance aux démons. Même si l’optimisme est en berne et qu’une odeur de fatalité plane sur les esprits, les bonnes âmes de la communauté se réunissent pour lutter contre l’envahisseur infernal. Dans ce contexte trouble, Ievgueni et Piotr sont désignés pour former un duo d’exorcistes. En intervention toute la journée, ils comptent les points entre le Bien et le Mal. Mais pourquoi insister quand une décision divine condamne le monde à sa perte ?

Étrange nouvelle qui conduit au limite de l’absurde. L’atmosphère pesant et lourd, l’oisiveté et un besoin irrésistible de combler ce vide pour au final lutter contre des forces obscures alors que la fin du monde est là. Faut-il vraiment partir en exterminant la menace des êtres possédés ? L’église n’existe pourtant plus dans ce décor apocalyptique, uniquement réduite au recrutement des exorcistes. Bien écrite cette nouvelle m’a laissée un tantinet sceptique avec je l’avoue des questions qui n’ont pas trouvé de réponses. C’est sans doute l’un des intérêts de cette nouvelle. Un extrait pour la bonne bouche.

Face à l’adversité, le nombre était une force. Mais lorsque le ver était dans la pomme, la proximité n’était plus un bouclier et devenait elle-même le danger. 

Lire le billet correspondant ici 

lanuitdesfous#22La nuit des fous, nouvelle 22 :

Pour Damian, l’arrivée de la Saint-Sylvestre sur le calendrier est loin d’être une nouvelle réjouissante : contrairement aux autres villes d’Europe où l’ambiance demeure bon enfant, Berlin est chaque année le théâtre d’une véritable apocalypse pyrotechnique confinant à la guerre civile. Mais en tant que policier, le jeune homme, que la fièvre gagne, va encore devoir affronter la foule.

Comme le dit Neil Jomunsi, le moins que l’on puisse dire c’est que la fièvre gagne. C’est comme de voir des coureurs se presser le long de la cordelette, ce qui met la pression lentement mais sûrement. D’autant que Damian est si tendu que l’on s’attend au pire. Une nouvelle divertissante avec son brin de folie à la chute rigolote et assez inattendue.

Ce soir nous rencontrerons nos peurs, poursuivit Kripkow. Nous marcherons dans un tunnel de cris et de feu, pourtant nous ne faiblirons pas. 

Lire le billet correspondant.

maisonclose#23Maison close, nouvelle 23 :

Miss A est une femme d’affaires d’un genre un peu particulier : dans un futur proche où les ingénieurs ont doté les robots de sentiments, de besoins et d’envies pour relancer une économie moribonde, son entreprise offre des prestations sexuelles aux machines, cyborgs et autres androïdes. Son business est florissant. Un jour, un homme vient à elle avec une proposition qui, bien qu’inhabituelle, éveille sa curiosité : il s’agit de s’occuper d’un client hors du commun.

Cette nouvelle est parmi mes préférées. J’ai été très touchée par Miss A malgré son côté femme d’affaire. J’ai trouvé l’idée de l’auteur de doter les robots de sentiments très intéressantes, sans doute est-ce l’expression d’un de mes côtés «  fleur bleue » mais j’aime penser que si un monde tel que celui-ci venait à exister les androïdes auraient la possibilité d’aimer y compris charnellement. Et cela est décrit finement dans Maison close, avec Miss A prévenante et soucieuse du confort de sa clientèle. Bref, Maison close est à mon avis une belle réussite alors que l’auteur n’avait pas encore abordé de scènes «  intimes ». A mon sens un joli coup de plume.

Le billet correspondant

yokai#24Yokai, nouvelle 24 :

June Lindenhaven est une thérapeute qui ne sort de son cabinet que lorsqu’une situation exceptionnelle l’exige. En l’occurrence, la pathologie de son patient du jour — un vieil homme d’origine japonaise du nom de Gikaibo — a su retenir toute l’attention de la psychologue. Équipée de son sac à dos, elle se rend à l’adresse indiquée et se prépare au voyage. Car le périple ne fait que commencer et plongera June dans les méandres tortueux du folklore nippon… à ses risques et périls.

Ça commence en pleine ville et nous voilà embarqués bien au delà dans une contrée étrange. Un tour de magie ou plutôt de communication adroite que June exerce à la perfection. Et c’est un monde merveilleux, dangereux, plein de bestioles improbables ( pour nous…mais c’est sans connaître les Yokaïs ). Poésie, peurs, périls, soins, attachements tout est ici réuni pour faire de Yokaï un beau voyage plein de surprises étonnantes. Une prouesse encore une fois.

Suivant les conseils de son maître, le poète Henri Michaux – dont les Propriétés étaient à son cœur une fontaine de réponses autant que de questions -, elle reconstruisit l’embarcation en pensée, planche par planche, clou après clou, un rivet suivant l’autre, et plaça un mât au centre auquel elle fixa une voile.

C’est pas bien Monsieur l’auteur de m’avoir tant donné envie de relire Michaux ! 

Lire le billet.

insideSherlock#25Inside Sherlock, nouvelle 25 :

 Sherlock Holmes est perdu : il vient d’entrer dans un manoir dont il ignore tout et dont on a fermé la porte derrière lui. Pire, ses souvenirs lui échappent : quelle raison a bien pu le pousser à pénétrer en premier lieu dans cette bâtisse ? Le célèbre détective de Baker Street va devoir mettre toutes ses facultés de déduction à profit pour résoudre ce mystère.

C’était inévitable, Sherlock ne pouvait pas manquer à ce Projet ! Ça été un vrai plaisir de lire cette nouvelle. Malgré la précision descriptive du décor on se demande bien où se trouve notre Sherlock et comment il se ait qu’il se trouve ainsi mis à mal. Une nouvelle qui tient bien sa promesse, sans dénaturer les personnages. De la cohérence, un côté fantastique agréable, un Inside Sherlock qui se laisse dévorer tout goulûment et qui a su séduire l’amatrice de polar qu’au fond je suis toujours.

Lire l’article s’y rapportant 

lanuitvenue#26La nuit venue, nouvelle 26 : 

Une belle journée d’été commence pour Jules, Vincent et Yohan, trois gamins plus ou moins turbulents qui écument les ruelles d’un petit village à la recherche d’une prochaine bêtise pour occuper leur temps. Mais face à l’imminence de la nuit, un étrange sentiment de malaise les saisit : des regrets peut-être, ou de la nostalgie. Que se passera-t-il lorsque le soleil se couchera ce soir ?

J’aime beaucoup lorsque Neil Jomunsi met en scène l’enfance et / ou l’adolescence. Il parvient par je ne sais quelle magie à nous restituer nos jeunes années. C’est ce qui opère dans La nuit venue qui commence par les péripéties de jeunes enfants partant la pêche mais l’eau est dégueulasse et bientôt la nuit va tomber. Au fil du temps qui passe on se demande pourquoi tant de mystère au crépuscule.

Finalement, c’est avec étonnement que l’on assiste au quasi rituel du coucher, et surtout les interrogations les plus folles m’ont assaillie jusqu’au dénouement superbement amené.

Nostalgie, sourires, inquiétude font de La nuit venue un cocktail réussi.

Le billet de l’auteur sur cette nouvelle ici.

commando#27Commando, nouvelle 27 :

C’est une bien étrange librairie que l’on trouve au coin de Chapel Street et de la Quatrième Avenue : ouverte au public le jour et mystérieusement gardée par des vigiles la nuit, la boutique semble ne jamais trouver le repos et conserve jalousement son secret derrière la puanteur de ses réserves : celui de ses mystérieux best-sellers que la tenancière édite dans l’ombre pour les vendre ensuite au monde entier, par centaines de milliers d’exemplaires. Un espion infiltré va tenter de résoudre l’énigme de la librairie… à ses risques et périls.

Ça commence comme un roman d’espionnage, comment notre «  héros » va-t-il bien pouvoir se débrouiller pour pénétrer le secret de cette librairie ouverte 24 h sur 24 et sept jours sur sept ? Cela se corse car même si la librairie est ouverte de nuit, son accès en est surveillé par des vigiles. La seule façon de pouvoir y entrer de nuit est d’appartenir au Club de lecture. On assiste aux planques de notre agent spécial, et pour finir il s’installe dans une chambre miteuse où règne une odeur pestilentielle. La librairie tient bon avec à sa tête cette propriétaire si étrange qui m’a un peu foutu les chocottes mais ça n’est rien comparé à la révélation ultime. Une nouvelle que j’ai trouvé particulièrement angoissante. Une réflexion sur les limites, les concessions faites aux passions. Enfin, tout au moins c’est ainsi que j’ai reçu Commando. Inquiétante à souhait, beau travail ! 

Comme une tache de rouille s’accrochant désespérément à la carrosserie d’une voiture, le magasin tenait bon et – en dépit du bon sens selon certains – persistait à vouloir vivre au milieu des immeubles retapés, des rues pavées de neuf et des terrasses de café. La propriétaire avait éconduit tous les promoteurs sauf un, à qui elle avait collé un livre entre les mains et qui était depuis devenu un client régulier.

La nouvelle expliquée par l’auteur.

hacker#28Hacker, nouvelle 28 : 

Jodie est aux anges : son vieux rabat-joie de père a enfin accepté qu’elle bénéficie de la greffe d’implant dont elle meure d’envie depuis si longtemps, et dont toutes ses camarades de lycée sont déjà équipées. Une fois connectée au réseau, elle pourra à loisir visionner des films, écouter de la musique, jouer aux jeux vidéo, communiquer avec ses contacts sans l’entremise d’un appareil tiers. Mais lorsqu’un petit diablotin s’invite dans la machine, le cauchemar ne fait que commencer.

Je crois qu’on pourrait me qualifier de parent rabat-joie comme le père de Jodie dans cette nouvelle. Le trans-humanisme m’inquiète. Même Jodie se rend compte que sa copine a un regard vide c’est pour dire qu’elle n’est pas totalement inconsciente des risques qu’impliquerait un «  surdosage ».

Dans Hacker on retrouve donc un thème cher à l’auteur, celui de l’adolescence. On y retrouve quasiment tout ce qui en fait le charme mais aussi l’amertume parfois.

J’ai adoré les descriptions de personnages, c’est parfois réellement truculent.

En tout cas cette affaire d’implants me met mal à l’aise. Je sais bien qu’il faut vivre avec son temps mais est-ce à dire qu’on doit en accepter tous les dangers ? Pas sûre !

Un sujet qui touche ma sensibilité, surtout ma fibre maternelle je l’admets. Néanmoins j’ai beaucoup aimé cette nouvelle qui n’est pas dénuée d’humour, cerise sur le gâteau. Ce qui est aussi bien agréable c’est qu’on ne baigne pas dans de la SF parce que au total tout cela ne paraît pas si lointain et est tout à fait compréhensible par tout le monde. 

Genèse de Hacker expliquée par l’auteur ici 

wonderland#29Wonderland, nouvelle 29 : 

La colère gronde au sein de la petite République démocratique du Gradistan : une fièvre révolutionnaire s’est emparée des masses, et c’est une foule furieuse qui se presse contre les grilles du palais présidentiel pour mettre à la porte le vieux dictateur, qui règne d’une main de fer sur le pays depuis trop longtemps. À l’intérieur, les dignitaires du régime cherchent une solution pour échapper à la vindicte. Mais les plus prévoyants ne sont pas toujours ceux que l’on imagine.

Alors je dois dire que celle-ci m’a bien fait sourire et pourtant le sujet est délicat, il s’agit tout de même d’une révolution. Comme dans toute conspiration, on y trouve les affaires militaires et la sûreté. Vous imaginez bien qu’il n’est pas question pour ces gens là de renoncer à leur prestige seulement comme on dit «  il va y avoir un os dans le potage » et ça ne sera que justice si je peux dire.

Le militaire marmonna quelque chose, puis détacha son regard de la baie vitrée pour faire les cent pas autour de la table, ce qui, considérant la taille du meuble, était une activité sportive à part entière.  

Typiquement le style de trait d’humour que j’adore trouver dans mes lectures !

Billet explicatif ici

pourtoujours#30Pour toujours, nouvelle 30 :

Là-haut, dans le cosmos ténébreux et mutique, une capsule tourne en orbite autour de la Terre depuis des millénaires : à son bord, les deux derniers survivants de la race des vampires attendent patiemment que la planète recouvre un écosystème normal. Vingt millénaires plus tôt, la grande Dévastation a annihilé toute vie à la surface et ces deux âmes solitaires, réveillés tous les cinquante siècles, en furent les tristes témoins. Mais alors qu’ils perdent espoir, les immortels détectent un signal. Le jour du grand retour serait-il arrivé ?

Je vous préviens d’emblée, c’est un gros,GROS coup de cœur. C’est sans doute pour cela que je me sens hyper maladroite pour vous en parler. Elle draine des sujets tels que le caractère éphémère et l’immortalité ( oui, oui ) la transmissions à travers les âges, la science-fiction ( de façon légère sans asséner des mots compliqués qui ont souvent tendance à me hérisser personnellement dans certains ouvrages ), la cohabitation entre espèces y est aussi abordé en filigrane ( j’aurais bien aimé en savoir plus là-dessus mais dans un format court c’est comme ça : à nous de « sentir » ) et ici, un choix d’importance «  revenir » ou continuer l’errance ?

J’avoue aussi un attachement certain pour les vampires.

Elle m’a remuée, émue, chamboulée ! 

Le billet s’y rapportant est toujours sur le blog ActuaLitté 

Voilà concernant ces dernières nouvelles du Projet Bradbury et toujours aucun regret d’avoir souscrit en soutien à cette formidable idée et à ce challenge épatant. Au contraire, chaque semaine apporte sa surprise, chaque semaine me permet de constater combien l’écriture de Neil Jomunsi s’améliore, s’intensifie et atteint la lectrice que je suis. Même si tous les sujets ne m’interpellent pas, tous sont intéressants découvrir dans la façon dont ils sont traités, dans ce qui a donné l’envie à l’auteur de les mettre par écrit et de les partager. C’est finalement une expérience aussi pour moi.

Quelques autres retours de lectures sur le Blog de Deidre par exemple  et celui de Deuzeffe 

bradburyintegrale2La seconde intégrale regroupe les nouvelles : Bully, Viral, Alexandria , Le pont, Esprit farceur, Toreador, Lettre morte, Interim, La nuit des fous, Maison close, Yokaï, Inside Sherlock, La nuit venue. Vous pouvez les acquérir à l’unité ou acheter cette intégrale mais le mieux à mon sens reste de souscrire au Projet Bradbury pour 40 €.

Comme d’habitude, toutes les couvertures sont de Roxane Lecomte, La dame au chapal

Sous silence - Catherine Enjolet Éditions Libretto 06-02-2014 / 6 € 70

Sous silence – Catherine Enjolet
Éditions Libretto
06-02-2014 / 6 € 70

Sous silence de Catherine Enjolet

Il s’agit là d’un petit roman car il ne comporte qu’une centaine de pages. Mais ce petit roman vous met un claque monumentale. Il est grand, majestueux, en un mot magnifique !

Catherine Enjolet donne ici la plume à Nabisouberne. Qui est cette enfant qui ne sait pas elle-même quel est son âge ? A travers ces quelques pages, l’auteur nous emmène à sa suite, nous invite à découvrir par touches adroites et touchantes le quotidien de cette enfant. Nabisouberne surnommée Bisou par certains, son beau-père entre autres, vit aux côtés de sa mère et sa grand-mère, s’occupant également de sa fratrie puisque sa mère est une personne constamment angoissée, vivant dans la crainte du regard d’autrui, la peur de la Ddass. Nous sentons dès le début de ce roman la puissance dévastatrice de cette peur :

– On va nous dénoncer !
Ma mère répète. À voix basse. Elle accélère le pas. Faut se méfier…Chut ! Je me tais. Je baisse la tête. C’est automatique. Je baisse les yeux dans la rue. Je fixe le caniveau, les gargouillis de l’eau. Je ne regarde pas pour ne pas qu’on me voie. Ma mère me tire par la main par petits coups secs comme si je ne disparaissais pas assez vite du paysage.
– On va encore nous dénoncer !

Sans le père, une mère aux abois qui crie «  au secours » et une porte qui se referme sur ses enfants, les séparant. Désemparés, l’affront gravé cette douleur laisse une empreinte indélébile. La famille vit chichement, tandis que la grand-mère continue de rêver au ancêtres. Et la petite Bisou fait ce qu’elle peut pour vivre dans tout cela, vivre est étant mutique au grand dam de l’école qui sait pertinemment qu’elle est intelligente. Seulement, qui pourra comprendre ce qui crie au fond d’elle ? Qui peut écarter de son chemin cette ombre menaçante qui la traque et l’accule au vide ?

Nabisouberne écrit sur des petits papiers, autant de papiers jetés au vent, autant de mots qu’elle extirpe naturellement de son petit être à l’étroit, et malmené. Et quand elle n’est pas mutique les prises de paroles semblent des affronts.

Bisou perdue sans identité, Bisou dans son quartier qu’elle aime aussi,la boulangerie et la petite trisomique, le café, les toits, la voisine qui chante ensoleillant l’immeuble.

Il est difficile de comprendre un enfant qui n’en est pas vraiment un, rude le chemin qui permettrait derrière cette soi-disant folie affichée de tendre une main. Pourtant, une personne va le faire, ce sera la Prof -de-comptoir.

Elle veille sur mes pages. Sur les Bisou comme moi. Les Fanny, les Lili, les Poussin et les autres.Ceux et celles qu’on ne sait pas entendre.

Ce n’est pas un livre qui se résume, c’est pour cela que j’ai choisi de ne pas copier la quatrième de couverture. C’est un roman qui se vit du fond du cœur et des tripes. Combien de ces enfants côtoyons-nous sans les entendre ? La note positive de ce livre c’est peut-être aussi nous dire « prenez le temps de les écouter, tous ».

L’auteur tout en narrant cette histoire d’une enfant dans un milieu qu’on qualifierait de bancal dépeint la vie d’un quartier au delà de celle difficile de cette famille. Je ne connaissais pas Catherine Enjolet et je suis vraiment ravie d’avoir pu la découvrir ici grâce à l’opération Masse Critique de Babelio et à la générosité des Éditions Libretto. C’est quasiment une certitude, je lirai à nouveau Catherine Enjolet.
À noter la très belle préface de Boris Cyrulnik.

bye-bye-blondieBye Bye Blondie – Virginie Despentes

Quand Gloria écoute les raisonnements d’Eric, une partie d’elle, adulte, cherche à comprendre son fonctionnement, l’autre partie, adolescente, vitupère hurle et réclame des explications. Tout lui semble normal, à lui, compromissions à tour de bras, pour garder son boulot, ne pas avoir d’ennui avec les voisins, avoir des copains et gagner plein de blé.. Tout ce qu’il est capable d’engloutir comme conneries mensonges et lâcheté. Et, en même temps, pour la première fois, elle regarde de près quelqu’un capable de faire un effort sans aussitôt laisser tomber »vas-y ça m’intéresse pas », quelqu’un qui n’use pas d’orgueil pour éviter les confrontations dificiles.

Ils se promènent, en ville, elle l’accompagne acheter une veste. Dans des magasins qui la mettent mal à l’aise jusqu’à l’attaque de panique. Même les videurs et les vendeuses se la surpètent, comme s’ils avaient racheté la boutique. Y a guère plus con que les larbins de riches. Outre les marchandises, leur prix et la gueule des clients, quelque chose dans l’espace, la lumière, le rythme et les sons, affirme une seule et même chose : nous sommes au-dessus de ce foutu panier de crabes, nous méritons le meilleur.

La Brigade des loups : 3ème épisode Lilian Peschet Voy’el- collection e-courts Couverture : El Theo

La Brigade des loups : 3ème épisode
Lilian Peschet
Voy’el- collection e-courts
Couverture : El Theo

La Brigade des loups : épisode 3 et 4

Attention si vous n’avez pas lu les épisodes précédents ces quelques mots sur les épisodes 3 et 4 peuvent vous gâcher quelques révélations. Maintenant que vous voilà prévenus en route pour cette suite trépidante.  

2020. L’épidémie de lycanthropie sévit en Europe depuis près de trente ans. La Roumanie est l’un des pays les plus en pointe concernant la recherche sur ce rétrovirus, mais aussi l’un des rares où les lupins ont le droit de vivre dans la société.
Sous certaines restrictions.
Pour s’occuper des crimes lupins, des unités de polices spéciales exclusivement composées de malades ont été créées.
On les appelle les Brigades des loups.

Vasile, l’ex Cap de la Brigade des loups va être jugé. La haine anti-lupin a pris une ampleur considérable, à tel point que l’armée s’affaire autour du tribunal.

Le pétage de plombs de Vasile a permis aux extrémistes d’installer un climat de peur et de rejet asseyant par la même occasion leur soif de pouvoir et de domination. La population semble favorable à l’euthanasie et des milices se sont formées. La presse est là « Ils veulent contempler ce loup qui a perdu son humanité. Ce monstre. »

Tandis que le tribunal est assiégé par la foule haineuse, le QG est attaqué.

Dans cette foule quelques résistants secourent Mikaï et Vasile.

La situation est à l’urgence, la Brigade est scindée. Chacun a conscience que désormais c’est la place au génocide, le retour à la traque. Dragos et Yakov sont mis aux arrêts.Vasile et Mikaï fuient.

Pavel impuissant constate 

Y a quelque chose d’irrationnel chez l’homme. Un truc sauvage. Dangereux. Il a beau mettre des vêtements, se raser, se coiffer, se recouvrir de parfum, pour avoir l’air civilisé, il reste bête. Bien pire que nos monstres. Car nos monstres, au moins, ils portent sur leur visage leur sauvagerie.

Comme le souligne le Cap’ «  les loups sont devenus incontrôlables ».

Paradoxalement, il y a comme une envie d’en découdre, pour prouver qu’on est pas dangereux. C’est idiot. Mais l’exclusion et la haine rendent idiots.

Au total, un épisode qui fait charnière dans cette série, ce qui explique peut-être pourquoi à sa première lecture je l’ai trouvé un peu «  poussif » dans le sens où j’ai eu l’impression que l’auteur avait eu plus de difficulté à le narrer. Ceci n’enlève rien à l’intérêt de l’histoire d’autant que le côté politique est bien développé, pertinent, avec des coins obscurs dont on attend la résolution avec curiosité. Et surtout, j’aime beaucoup comment Lilian traite ses personnages. Il y a un humanisme, une tendresse et un respect pour la Brigade qui m’émeuvent beaucoup. Et je ne parle pas des quelques trouvailles sympathiques de cet épisode.

Episode 4 :

C’est surtout à partir de maintenant que le risque de spoiler est le plus important.

 Nous suivons Mikaï et Vasile toujours en fuite. C’est l’occasion pour Mikaï de remonter ses souvenirs, ceux de 1991 dans lesquels il fuyait en compagnie d’un ami Hanz.

Mikaï et Vasile sont pourchassés, arrivant dans une ville, Mikaï crie pour savoir si des loups sont dans le coin. On lui répond mais ce n’est pas ceux qu’il croit. S’ensuit une bagarre intense dont ils seront sauvés in extrémis par d’autres loups, cette fois des alliés. Car à leur grande stupeur ces loups étaient des soldats : stupeur car les lupins ne portent pas d’armes en théorie. Mikaî perdra un bras dans cet affrontement. Quant à Vasile il est encore à moitié dans les vapes se demandant où est sa Brigade, depuis combien de temps tout a dérapé ainsi. Les lupins résistants vont leur faire des révélations utiles et inquiétantes entre autres que les Brigades n’existent plus, que ses lupins sont emprisonnés et «  formatés », en une armé aveugle et soumise. Fin de cet épisode après l’assaut du camp où se trouvent les ex membres des Brigades des loups.

Un épisode haletant, sans temps morts qui nous permet d’en apprendre beaucoup plus sur Mikaï et la façon dont ont été traités les lupins depuis des années. On pressent derrière tout ça quelque chose de puissant et terrible sans pouvoir. La haine, la peur prennent de multiples visages et les plus horribles ne sont pas toujours ceux auxquels ont pourrait croire en premier.

Verdict ? Lisez cette série éditée par Voy’el et plus vite que ça !! Le premier épisode est toujours gratuit, les suivants à 99 cts d’€ chez L’immatériel ( par exemple ) 

Mon avis sur les épisodes 1 et 2  en cliquant sur les liens.

L’avis de Cécile Duquenne sur l’épisode 3 sur son blog

A noter que l’émission Rêves et Cris a fait l’éloge de La Brigade des loups dans son émission du 17 janvier 2014. Cliquez pour lire la vidéo

Quelques bibliothèques dans mon chez moi.

Quelques bibliothèques dans mon chez moi.

 

L’origine de ce billet est sur un statut Facebook, celui de Fabrice Colin sur lequel est intervenu Julien Simon annonçant qu’il est en train de traduire en français Le roi en jaune de Robert W.Chambers appartenant au domaine public et qu’il souhaite en proposer une version numérique gratuite. Honnêtement, je ne connaissais absolument pas l’auteur et encore moins l’oeuvre donc, mais les réactions m’ont donné furieuse envie de découvrir.

C’est avec un poil de consternation que j’ai lu certains commentaires de la part de «  professionnels ». Cette levée de boucliers a entraîné des articles l’un de Neil Jomunsi ( Julien Simon )  l’autre de Julien Morgan .

Il se trouve que Le Roi en jaune est en vente chez Malpertuis

Pourquoi cette montée en puissance de réactions négatives à la limite du respectueux ? Qu’en pensons-nous, nous lecteurs de cette affaire ? Je vais parler en mon nom.

Après tout, je n’ai aucun scrupule à télécharger du libre et gratuit sur noslivres.net par exemple. Est-ce que pour autant je vais culpabiliser parce que des traducteurs, des illustrateurs ont bossé sur les titres payants ? Non, sûrement pas.

Les personnes qui donnent accès à ces titres libres et gratuits font un gros travail, et là je ne parle pas que de la traduction, de la mise en page etc, je parle de la mise à disposition d’un patrimoine culturel commun, à sa propagation pour l’intérêt de tous, pour le bien de la culture. Et surtout, au fond de moi une petite voix susurre à mon oreille, c’est ça l’égalité d’accès, pas besoin d’avoir le porte-monnaie ouvert et toutes les familles chanceuses qui ont accès à internet peuvent s’offrir une part du patrimoine mondial ( sous certaines conditions ).

Alors pourquoi sous prétexte qu’un éditeur, un traducteur, un illustrateur ( et tous les autres acteurs de cette chaîne) ont bossé sur une version papier de l’ouvrage je devrais culpabiliser de me diriger vers une version numérique gratuite ?

Prenons l’exemple de Lovecraft. J’en ai plusieurs livres papiers, et d’autres en numériques que je n’ai pas achetés, et depuis peu existe grâce à François Bon The Lovecraft Monument qui propose pour un abonnement de 11 € l’accès en continu à tout son contenu ( riche et varié ). Encore plus surprenant direz-vous le fait qu’un accès gratuit me soit proposé ne me fera pas reculer devant un achat par la suite. Pourquoi ? La lectrice en moi cherche la découverte, se fait souvent menée par le bout du nez par sa curiosité vorace et insatiable.

Aussi la mise à disposition gratuite de certains textes me permet-elle de «  défricher » en quelque sorte. C’est en cela que j’approuve le billet de Julien Morgan « Est-ce que proposer du gratuit permet de vendre plus de payant ? Oui ou non. Impossible de savoir avec certitude si un lecteur achète un ebook parce qu’il a été convaincu par le gratuit. »  Ce qui est certain, c’est que les éditeurs qui proposent du gratuit donnent un aperçu de leur travail ( je résume à éditeurs mais vous m’aurez comprise ) et que ce travail s’il est bien fait, et s’il correspond à ma vision en tant que lectrice m’incitera probablement à chercher un titre que je payerai volontiers. Encore une fois, je cite Julien Morgan « Un lecteur qui télécharge gratuitement, c’est un promoteur de plus de votre travail (et de celui de l’auteur). Pour peu que vous fassiez votre boulot sérieusement. »  Ça semble tomber sous le sens, eh bien il faut croire que non pour certains professionnels.

Je n’aime pas utiliser des termes commerciaux pourtant il faut bien en passer par là. Ce qui me fait souvent sourciller d’ailleurs, c’est de me voir qualifier de «  cœur de cible », « masse », « consommatrice », « cliente » mais si au moins tout cela rendait service à ces professionnels ce serait bien, si de tout cela découlait une offre véritable, un vrai respect,souci du lectorat mais non, que nenni …Encore plus exaspérant, sous prétexte que les lecteurs n’y connaissent (-traient ) rien, n’appartiennent pas à ce sacro-saint milieu ils n’auraient qu’à se taire et se garder de toutes interventions sur le sujet. Bon à racker mais pas à suggérer, pas à critiquer …quel comportement édifiant. Ah si j’oubliais, le lecteur peut voter pour des œuvres,des auteurs …ça, par contre le moment venu on sait bien nous trouver, et ça brosse, ça lustre, ça appâte…

Honnêtement, il y a un comportement rapace dans toute cette histoire qui a tendance à me révulser.

Je ne peux pas clore ce billet ( rédigé un peu à l’arrache et à peine structuré mais Stéphane Desienne  et quelques uns m’ont dit que c’est pas plus mal;) ) sans aborder l’auto-édition tant décriée, et souvent méprisée, fort injustement d’ailleurs.

Parce qu’un artiste, ici un auteur ose se lancer seul la qualité de son œuvre serait médiocre et il nuirait à ce sacro-saint monopole de l’édition ? Voyons voir un peu de mon expérience personnelle sur ce sujet. Je lis régulièrement des auto-édités sans sauter au plafond devant les fautes d’orthographe, leurs récits sont la plupart du temps bien fichus. Après c’est comme partout, une question de goûts et de couleurs. Ceci dit, il m’est arrivé de lire des ebooks truffés de fautes, mal fichus proposés par des maisons d’éditions et parfois même d’avoir tiré la sonnette d’alarme en disant: Vous ne pouvez pas le laisser à la vente dans cet état. Pauvre auteur édité qui n’a même pas bénéficié du travail d’un relecteur, d’un correcteur.Alors ? Tout ça pour dire, personne n’est à l’abri d’une coquille même un éditeur aussi prestigieux soit-il.

J’ai beaucoup de respect pour tous les acteurs de la chaîne du livre ( libraires inclus évidemment). Le fait d’acheter du libre et du gratuit ne me rend pas coupable vis à vis de ce monde littéraire. Ce n’est pas à moi, nous lecteurs, de nous remettre en cause mais bien à vous tous de réfléchir avec nous à un avenir plus fleurissant qui ne pourra que réconcilier chacun avec l’amour du lire et de la découverte. Moi, lectrice, je veux avoir le choix.

Je ne suis pas une consommatrice de livre, j’en suis lectrice, je les aime et les respecte quelque soit leur forme (at ).

Ce billet est incomplet, j’en suis consciente. J’ai essayé de retranscrire du mieux possible mon sentiment, mes attentes et mes espoirs.

merditudeLa merditude des choses

J’ai découvert il y a quelques semaines le film du même nom. Lisant le générique, je me suis aperçue qu’il est tiré du roman. Ayant été très touchée, j’ai commandé le livre chez ma libraire de ma petite ville et trois ou quatre jours plus tard il m’attendait sagement au magasin. Je reste fidèle à ma librairie, puisque comme bon nombre de gros lecteurs j’ai toujours quelque chose à lire chez moi ( la liseuse n’y est pas étrangère ). J’aurais pu, il est vrai, me rendre au supermarché dans lequel a été implanté un rayon culturel important pour voir s’il y était, ou le commander sur la F… mais non, cela n’est pas dans mes habitudes de consommation.Ma libraire, j’y tiens beaucoup même s’il aura fallu plusieurs mois avant de briser la glace entre nous, plusieurs mois et beaucoup de sous ! Mais qu’à cela ne tienne, je ne demande pas à mon boulanger d’être plus amical que cela, je veux du bon pain. Eh bien avec elle c’est pareil mais je suis ravie que nos rapports aient évolués dans ce sens et que notre curiosité et nos échanges autour de la lecture soient de plus en plus chaleureux et variés. Comme quoi la patience est une bonne chose et qu’il est préférable de ne pas « juger » ni tourner le dos avant d’avoir eu plusieurs échanges. Bien sûr, je sais qu’agir ainsi n’est pas possible pour tout le monde.

Fin de l’a parte et maintenant voici la quatrième de couverture de La merditude des choses :

Dimitri vit chez sa grand-mère dans un trou perdu de Belgique, avec son père et ses trois oncles –soiffards invétérés et fans furieux de Roy Orbison. Entre deux cuites, des amours sales, une course cycliste nudiste et la ronde des huissiers, le clan des Verhulst parasite, fier de sa nullité. Une certaine forme du bonheur, qui ne convainc pas les services sociaux…

Plutôt que de vous offrir un énième résumé du livre, je préfère parler des émotions qu’il a suscitées. Elles sont diverses parfois assez dures,cependant l’auteur décrit son environnement avec tant d’humanisme frôlant la poésie qu’il faudrait être insensible ou sans doute un peu coincé pour s’offusquer de certaines scènes.Parce que ce récit se déroule fin des années 70 début 80, parce qu’il est autobiographique, parce qu’il ne cherche pas le misérabilisme et encore moins à stigmatiser les personnes décrites il est, selon moi, l’exemple typique d’un très bon roman sociologique, très loin du tapage médiatique de certaines sorties littéraires actuelles.

Aussi habitués aux huissiers qu’aux défis saugrenus ( et dangereux ), la famille est soudée de façon indéfectible : attaquer un des membres du clan s’est se le mettre tout entier à dos. C’est ce qu’explique Dimitri à Franky, fils de bonne famille qui s’est entiché de lui et dont le père tout à coup lui interdit de le fréquenter.

Il dit que vous êtes des gens minables. Des débiles. Que si votre engeance n’était pas maintenue artificiellement en vie par un tas d’aides-sociales, vous seriez depuis longtemps parmi les vers de terre. Dans la nature, vous n’auriez aucune chance de vous en sortir, les espèces les plus fortes vous auraient éliminés pour conserver l’équilibre. Les Verhulst se soûlent. Les Verhulst se bagarrent et traînent avec les canailles de la commune. Les Verhulst profitent et parasitent. Faut pas être fâché contre moi, c’est mon père qui le prétend, pas moi. 

En fait,Dimitri s’en fout éperdument, il a bien compris que Franky est vide et sait qu’il est le seul à le fréquenter.Le plus malheureux des deux n’est pas toujours celui auquel on pense en premier.

Notre narrateur porte un regard lucide sur ce qui l’entoure et malgré son jeune âge trouve lui aussi que collectionner les poils pubiens a plus de valeur que de collectionner les trains, car après tout ça n’est qu’affaire de gros sous cette histoire, tandis que les poils, ça c’est quelque chose que tout le monde a à sa portée. Car dans la famille Verhulst on est socialiste. Ils ne trichent pas, ils sont fiers de ce qu’ils sont et font. Leur pauvreté ? Ils l’assument pleinement, dans cette tribu seul le père de Dimitri travaille, comme facteur, autant vous dire que ce ne sont pas les coups à boire qui manquent.
Avoir trop de meubles, une maison trop bien fichue mais ce serait se montrer riche et trahir leurs idées. Ainsi quand, fait extraordinaire, la sœur Rosy revient au village c’est bien la preuve que tout n’est pas si nul au pays.C’est à travers ce retour que l’auteur nous présente sa famille dès le début du roman.

Les Verhulst sont soûlards, oui, et le plus doué est sans doute Poutrel, le plus jeune des oncles. Celui-ci vexé d’avoir été écarté du fait de son âge du championnat des buveurs de bière lance un concours, le tour de France de l’alcool qui va réunir les plus gros buveurs qu’ils connaissent.Oui, eux aussi sont capables de grandes choses, la preuve n’est-ce pas ? La grand-mère assiste à tout cela ravie de penser que ça y est son fils est décidé à faire du sport, à s’investir à fond sur un projet. Naïve, elle va jusqu’à lui offrir un nouveau vélo.

Non, vraiment les Verhulst ne pensent pas à mal, c’est ainsi qu’ils vivent. Difficile d’imaginer qu’un enfant puisse grandir dans ce milieu et s’en sortir. Ce môme qui prend soin de son père, le fait boire son verre d’alcool le matin au réveil sinon celui-ci est incapable de se lever ni de faire aucun mouvement tant les tremblements le saisissent. Il lui allume ses clopes, bref, limite s’il ne se conduit pas en maman. Mais il le fait parce qu’il aime les siens. C’est à sa grand-mère que Dimitri devra de s’en sortir.
Un passage vers la fin du livre m’a particulièrement interpellée, il s’agit du moment où la grand-mère étant à l’hospice l’oncle Poutrel dit à Dimitri que des gars veulent enregistrer un CD avec les vieilles chansons à boire, celle que son père chantait à tue-tête. A mon sens, une bien belle déclaration concernant la récupération du patrimoine culturel et surtout sous son aspect financier et caricatural. Je vous en laisse juge.

Je trouvais ça pervers. Quelle illusion de penser que quelqu’un s’intéresserait honnêtement au peuple. Le seul fait de se jeter sur le peuple paré de tout un fatras pseudo-scientifique trahissait déjà qu’on se plaçait au-dessus du peuple. Le chercheur vient de l’extérieur. Les professeurs de folklore venaient-ils chez nous au bon vieux temps s’asseoir autour de notre repas de merde et manger avec les mains ? (…) Un seul de ces savants aurait-il jamais chanté avec nous pour le plaisir pur, et pas avec à l’esprit le projet d’une exposition ou quoi encore ?

Avec ce roman, plus que jamais on se dit la beauté est partout même dans un tas de fumier. Parce que, oui définitivement c’est un superbe récit poétique, sensible et humain, et souvent drôle. Nul trace de règlement de compte là-dedans, juste une histoire racontée avec humanité.

Je laisse le mot de la fin à Dimitri Verhulst.

La ressemblance éventuelle de certains personnages de ce livre avec des personnes existantes repose sur la simple connaissance du cœur humain

La merditude des choses aux éditions 10/18 : 7 € 50

Le point de départ de cet article est une question posée via twitter : « comment construis-tu tes synopsis, les développes-tu, etc. »
Et aussi : « comment organiser la créativité sans l’étouffer. »

Soyons créatif... ;-)

Soyons créatif… 😉 Un vaste programme.

Créativité et construction… Vaste débat ! La créativité s’apparente à une boîte noire d’où peuvent surgir des idées et ce, à tout moment. Il suffit d’un déclencheur (film, musique, télévision, échange sur twitter, une image, un morceau d’image, une couleur, une réflexion, une lecture sur le web ou ailleurs…).
Le mot construction implicite un modèle (ne serait-ce qu’une chronologie) et déjà, une hiérarchisation des idées accouchées par la boîte noire, un début de mécanisation de la créativité.

À mon sens, le synopsis (de travail s’entend) est un couplage entre ces deux mondes difficiles à concilier. La jonction est rarement immédiate, dans le sens : « j’ai une idée, j’essaie d’en faire un début d’histoire, de la poser dès qu’elle arrive. »
En moyenne, il s’écoule deux à trois semaines (parfois davantage) avant que je commence à « formaliser » ou à « poser » des éléments de base d’une « idée d’histoire ». En général, j’attends que la pression augmente, c’est-à-dire que ma boîte noire me titille de plus en plus sur une thématique précise. À ce stade, je ressasse plusieurs fois des embryons du récit. Je les manipule comme des objets dans mon esprit. Il me vient des images, des morceaux de phrases, j’imagine des personnages, je me monte des séquences entières (en gros, je me fais des films). Je peux prendre une ou deux notes sur un élément que je ne veux pas oublier, surtout que ça va très vite : aussitôt pensé, aussitôt envolé. Il existe alors un moment où la « masse critique » devient suffisante et l’accumulation des idées me porte alors vers une séance de défrichage. J’aligne alors les morceaux de phrases, des idées, des ébauches de concepts. Techniquement, rien de bien compliqué, j’ouvre un carnet de notes et je me dis : « OK, on pose tout ça sur la table. » C’est un peu comme jeter un puzzle et commencer à trier selon les couleurs, les bords, les formes…

Ça peut-être aussi simple et rapidement exprimé que cela :
« – On décrit les lieux de plus ou moins désolation car nous sommes dans un monde en perdition
du fait de la montée des eaux, des pénuries en tout genre, des guerres et du chaos économique [ À infuser ? dans le background, notamment le changement de leadership => « wouah, des yuans garantis par la banque de Chine » ?? ].
– Les plus faibles n’ont pas été épargnés et des villes entières sont plus ou moins devenues des
sortes de bidonvilles [ Au choix ici, on peut prendre une ville européenne afin de bien marquer la différence entre aujourd’hui et le futur… On peut aussi prendre un contre-pied géographique : genre façade océanique désertique -Somalie ? Des pirates dans le coup ?- ou carrément nordique : Norvège / Alaska ]  » ( tiré de mes premières notes sur la série Exil, brut de fonderie )

Ce qui se produit immanquablement : je m’interroge en même temps que je pose les éléments d’idées. Ces questions, je ne les écarte pas, au contraire : il faut constamment s’en poser. Personnellement, j’ai choisi de les signaler entre crochets [ … ] ou parenthèses ( … ). À ce stade, les réponses m’importent peu, elles ne me sont pas nécessaires.
Les questions agissent comme des catalyseurs parce qu’une fois posées, elles en appellent immédiatement d’autres.
Je les déroule, je les saisis comme elles me viennent, sans censure, sans concession. Je me trouve alors dans une situation d’écriture libre au kilomètre qui ne s’interrompt qu’une fois le filon épuisé -pour cette séance au moins. Il s’agit d’une phase plutôt jubilatoire sans considération de forme ou d’arrangement. Dans le cadre d’un texte court ou d’un petit roman, c’est un proto-premier-jet ; un substrat brut de décoffrage mais déjà intéressant.
Les items sont alignés les uns en dessous des autres, séparés par des sauts de lignes ou regroupés en paragraphes, pas forcément dans l’ordre non plus. Je peux aussi avoir des séquences rédigées comme des dialogues ou des descriptions.

Au final, je sais déjà -ou pas- si je tiens un « quelque chose ». En me relisant, je peux voir des thématiques se dégager, voire même des chapitres se dessiner, des personnages s’animer, un embryon de structure qui deviendra un synopsis. J’estime le potentiel, je vois si je parviens à me projeter dans l’histoire et, point important, si je peux déjà imaginer une fin / un twist.
C’est là où je me dis : « OK, move on », « Laisse tomber, à classer » ou « Pas assez mûr, mais y’a un truc ».

Si le 1 l’emporte, je mets en place les fondements du synopsis. Je classe les crochets, les points, je hiérarchise, je construis un début de timeline, je commence à ébaucher les personnages et à apporter des réponses aux questions. J’estime le découpage à la -grosse- louche.
Je dispose les éléments sur un tableau ; des briques que je peux changer, retirer, glisser, mettre à côté d’une autre, je peux lier, fusionner, compiler, etc. Cela ressemble un peu à un travail d’enquêteur (Comme si je menais une investigation sur l’histoire). Chaque brique peut-être une scène, un dialogue, un concept, une arme, un objet, une description, une image, un lieu, un personnage… Parfois, c’est juste un mot ou deux ou bien un texte de plusieurs centaines de mots que j’importerai ou pas dans le texte. Je consacre une ou plusieurs briques au synopsis plus ou moins rédigé (plusieurs si c’est une série avec des épisodes). Il s’agit ni plus ni moins de reprendre les items du défrichage et de les développer. La création du synopsis de Toxic a prit un mois, celui d’Exil une dizaine de jours

Toutes les briques du tableau ne sont pas forcément utilisées, et même durant l’écriture du premier jet, de nouvelles briques peuvent apparaître, d’autres disparaissent.

Ainsi, le synopsis est un objet vivant : il évolue au gré des inspirations, du développement de l’histoire. Je déplace des briques, j’en créé de nouvelles, j’en mets de côté.
Techniquement, ça se traduit à l’écran par un tableau avec des icônes qui sont autant de post-it. Chaque icône possède des propriétés (Une fiche personnage masculin, un perso alien, un animal, un élément de background, une note, une scène, le synopsis d’un chapitre ou d’un épisode, le premier jet d’un chapitre, un essai etc). Le programme me permet de créer mes propres icônes, de générer mes propres thématiques.
Un élément important : je dois visuellement tout avoir sous les yeux, l’histoire que j’écris est « étalée » / « éclatée » sur le tableau.

Je dois tout avoir sous les yeux, accessible en 1 clic.

Le tableau : tout avoir sous les yeux, accessible en 1 clic.

J’ai aussi besoin d’un maximum de souplesse. Je dois avoir le droit à l’erreur ( Si je me rends compte à l’écriture qu’un élément ne va pas fonctionner) et je dois aussi pouvoir faire n’importe quoi, suivre mon instinct quitte à évacuer l’idée plus tard.
La scène de la catapulte dans Toxic relève typiquement de ce cas de figure : elle n’est pas dans le synopsis d’origine. Elle m’est venue bien plus tard, à l’écriture du premier jet, alors que j’avais regardé sur le net une série de photographies sur les refuges. Je me souviens de l’image d’une maison-bunker sur pilotis, tout en hauteur, avec toit-terrasse. Le cheminement qui mène de cette image à la catapulte à zombies est indirect. J’ai trouvé l’idée d’une maison-bunker géniale, en hauteur les héros seraient hors d’atteinte. Avec en corollaire : comment en déloger les personnes à l’intérieur ? Elle est inaccessible, avec des murs épais, etc… Passer par le toit alors ? Mais comment atterrir sur le toit ? Les questions s’enchaînent et j’en arrive aux verbes lancer, catapulter…
La catapulte a nécessité des aménagements du récit. Par exemple, la maison-bunker sur pilotis s’est révélée une fausse bonne idée. Il faut bien viser pour atteindre le toit, ça suppose des réglages, des ratés, donc du bruit qui alerte les héros ( l’éditeur a bien relevé les soucis que posait cette intégration en sous entendant qu’il faudrait peut-être l’abandonner). Mais je tenais à ma catapulte. La maison sur pilotis est devenue villa-bunker entourée de douves, un domaine plus vaste, moins spectaculaire qu’une baraque sur pilotis, au final cela a amené les scènes dans les douves et l’idée de la panic-room. La mort de l’idée (bunker sur pilotis) a donné vie à d’autres possibilités. Mais ça n’a pas modifié la trame fondamentale du récit.
Si les pièces maîtresses du synopsis sont toujours là, les briques changent, de ce fait il subit une sorte de dérive par rapport à la ligne originelle. La plupart du temps, il s’agit de faire une boucle autour de la ligne principale, mais parfois c’est un écart plus conséquent : nouveau personnage, nouvel arc narratif, mort d’un perso…

Pour une série, disposer d’un synopsis est à mon sens essentiel. Il peut s’écouler des semaines entre l’écriture de 2 épisodes. Le synopsis permet de me remettre rapidement en selle sans me demander :  » Bon ok, il faut se mettre à l’épisode X : je raconte quoi ?  » Des mois, voire des années, peuvent séparer les premiers épisodes des derniers. Je dois pouvoir me rappeler comment j’ai eu une idée et pourquoi [ J’en reviens à mes histoires de questions dans les crochets… ]. Je peux ainsi refaire le cheminement de ma pensée.
Ensuite, plus une série est longue, plus la dérive est importante. En un sens, c’est logique et même sain, c’est révélateur d’un potentiel quand je vois que je peux déployer ou renforcer des arcs narratifs, quand l’histoire « s’auto-nourrit ».
C’est aussi à ce moment-là, qu’un regard extérieur peut révéler des éléments insoupçonnés.

La dérive synoptique est bénéfique, elle permet de laisser libre court à la créativité, de ne pas l’étouffer (en se disant : mince, je peux pas mettre ça parce que ce n’est pas dans le synopsis). Le synopsis n’est pas gravé dans le marbre, il peut changer parce qu’en cours de route, je vais avoir d’autres idées. Durant l’écriture on imagine des scènes meilleures, des situations plus intéressantes à exploiter.
Ceci étant, je ne dois pas dériver au point de perdre les objectifs initiaux ou de me fourvoyer dans une impasse. En ce sens, le synopsis est aussi une bible ou une carte, il permet de ne pas me perdre en route, de reculer pour reprendre le fil principal.

Même après le premier jet, le synopsis continue d’évoluer. Et encore après. Les corrections éditoriales ou autres peuvent amener à des évolutions. Par exemple, l’éditeur peut conseiller de tuer un personnage alors que ce n’était pas prévu dans le synopsis…

J’enrichis aussi le synopsis avec ce que j’appelle la bibliothèque d’idées. Je passe du temps à lire des articles, blogs, les textes d’autres auteurs, à me promener, faire du sport, m’aérer, discuter avec les gens… Chaque expérience (une photo, un mot, un morceau de vie quotidienne) peut donner lieu à une entrée dans la bibliothèque. Un soir, je regardais un documentaire animalier sur les éléphants, l’aventurier expliquait le rôle de la trompe. J’ai ouvert une entrée :
 » Un nez, un bras, une main : Tout cela à la fois. La trompe, un appendice multifonction pour une espèce d’alien. Avec détecteur de vibration dans la trompe, à l’extrémité.  » Pourquoi un détecteur de vibration ? La vérité est que j’en sais rien. À ce jour, j’en ai encore rien fait, mais cela servira peut-être.
À mesure que la bibliothèque s’étoffe, l’esprit établit des connexions ( je me souviens avoir noté quelque chose sur tel ou tel sujet… ) Cela m’amène à une loi capitale : « si ce n’est pas écrit, alors ça n’existe pas. »
Tant que je n’ai pas « capturé » cet instant, il demeure virtuel, une évocation dans mon esprit. Peut-être que ça servira, ou peut-être que j’en ferais jamais rien. Mais étiqueté et tagué, je peux le retrouver.
La bibliothèque est pour moi un centre de ressources.
Pour le projet radius, j’avais dressé trois profils de personnages, tous conservés dans la bibliothèque. J’en ai retenu un et un second a été « recyclé » dans le projet Voyager. Je pense que le recyclage est un processus important dans la créativité. Les « mauvaises » idées recalées dans le cours d’un projet peuvent révéler tout leur potentiel dans un autre. Je suis persuadé qu’il n’existe pas réellement de mauvaises idées, mais des situations dans lesquelles elles vont fonctionner et d’autres pas. Personnellement, j’adore le recyclage. Pour le projet Apocalypse, j’ai repris le personnage du cardinal Valero d’Hérésie Minérale. J’ai gardé les mêmes traits, le même caractère, mais je l’ai placé dans un contexte différent et j’ai étoffé son background. Idem pour le Hector de Toxic, à la base, c’est un personnage que j’avais imaginé dans le texte Dealer d’iceberg.

Recycler peut vous mener vers des idées lumineuses.

Recycler peut vous mener vers des idées lumineuses.

La créativité est par définition volatile, furtive, capricieuse, soudaine… Je me sens parfois dans la peau d’un chasseur de papillons, épuisette à la main, à l’affût d’un spécimen rare.

S.Desienne