La solitude de l'ours polaire Louis-Stéphane Ulysse  E-Fractions éditions

La solitude de l’ours polaire
Louis-Stéphane Ulysse
E-Fractions éditions

La solitude de l’ours polaire

« C’est moi qui lui avais mis ça dans la tête : la voir faire ça avec Hawaii Fender …» Cette simple phrase de Louis-Stéphane Ulysse plonge d’entrée le lecteur dans l’ambiance de ce roman. Cet homme vit cette obsession jusqu’à ce que sa femme l’accepte, peut-être par renoncement tout simplement, car elle ne formulera pas le « oui ». A partir de là, j’ai senti que tout allait devenir inéluctable. A l’hôtel où loge Fender, le mari reste devant la porte, à écouter les bruits émis dans la chambre, des sons qu’il n’a jamais entendus de son épouse. Et le fossé va se creuser entre eux-deux, rien ne sera plus comme avant. « Je me cogne contre les murs, je me déchire dans la boue… »

Etonnant aussi l’espace dans lequel évoluent les personnages. Une ville qui ressemble à un dépotoir, à un ghetto, se dépeuplant au fur et à mesure du récit.« A travers les vitres, les rues se ressemblaient toutes ; jungle concrète privée de vie, trottoirs déserts, immeubles trop hauts… »

On sent qu’une tragédie a eu lieu sans doute bien au-delà du seul réchauffement climatique, en résultant peut-être.

Le malaise va crescendo suivant les descriptions de plus en plus précises de l’auteur dont celle de cet ours polaire isolé sur cet iceberg dérivant que la foule de curieux espère apercevoir.

Hawaii est aussi un personnage surprenant, qui fera un séjour en prison sans que nous ne sachions autre chose qu’il portait un tablier sali de sang. Le narrateur le retrouvera et ils se côtoieront à nouveau dans une église en ruine devant l’autel couvert de bougies, sans se parler pour autant. 

C’est une lecture qui m’a désarçonnée.L’écriture de Louis-Stéphane Ulysse est très imagée, et poétique. Il parvient dans ce texte pourtant court à faire émerger beaucoup d’interrogations, de réflexions sur la solitude bien sûr, la lente dérive des sentiments humains, la peur de l’abandon et dépeint par petites touches une vision de l’avenir de notre planète, une vision apocalyptique.

Une extrait qui m’a beaucoup émue, le narrateur s’exprimant après la perte de son épouse.

«  Bien sûr, on a inventé les mots et, bien sûr, les supports ne manquent pas pour les dires, les écrire, mais rien n’existe vraiment pour sortir ceux qui sont en nous quand il y a le vide de l’absence…Et quand bien même on finirait par pouvoir sortir ces mots de notre corps, une fois seul, il n’y aurait aucun changement, parce que cette douleur-là ne se partage pas. »

La bande son accompagnant ce magnifique texte est de Caroline Duris. Elle donne encore plus de profondeur aux mots de Louis-Stéphane Ulysse. Les émotions ressenties à la lecture sont musicalement imagées. 

Merci à Franck-Olivier Laferrère qui m’a permis de lire ce récit.

Récit inédit / Livre numérique augmenté tous supports / ISBN : 979-10-92243-02-4 / ©E-FRACTIONS EDITIONS/LSU-mars 2013      Le site 

En vente sur L’immatériel  3 € 99  Version Iphone/iPad (epub )

Illustration de pwcca

 

Editions P.O.L

Editions P.O.L

Ça se déroulait toujours de la même manière. Une voix appelait sur mon cellulaire, tard le soir ou tôt le matin. Elle demandait à me rencontrer en tête-à-tête. Et donnait la phrase rituelle : « En souvenir d’André. »

Je me rendais à l’adresse indiquée et là, je rencontrais un homme, parfois seul, parfois avec une autre personne, de son âge ou plus jeune. On ne faisait pas de présentations. Ils connaissaient mon nom, ils m’avaient donné leur prénom. Lorsque le malade souffrait trop, l’autre personne était là pour m’expliquer. Je l’arrêtais très vite.

« Je vais d’abord m’occuper de la douleur. »

Le roman s’ouvre sur le narrateur à qui un organisme remet un dossier médical. Dans celui-ci il prend connaissance de la maladie de la personne qu’il va peut-être, s’il le choisit, aider à se suicider thérapeutiquement. Rien ne l’y contraint. Ce dossier lui donne l’assurance que ce malade est sain d’esprit que que par trois fois, à trois médecins, il a réaffirmé son désir d’en finir avec la vie.

Il s’agit de l’entretien entre cette lui et l’homme qui lui demande l’accompagnement vers la mort. Sous forme d’un long entretien, dans lequel le patient dévoilera les carnets qu’il a tenus toutes ces années concernant l’aide apportée aux personnes résolues à mourir dignement et sans souffrance, Martin Winckler comme à son habitude nous titille les neurones et l’humanité.

C’est un sujet qu’il connaît bien et qu’il défend depuis de longues années.

Puissant et profondément humain, un sujet qui dérangera sans doute mais qui devrait pourtant être au cœur du soin, et de la médecine, tout comme le traitement de la douleur chez le nourrisson est enfin pris en compte.

Cela ne s’arrête pas là, car Martin Winckler nous réserve une surprise et non des moindres.

Tout ce roman n’est qu’amour et respect. Il ne m’a personnellement pas dérangée car cela fait de longues années que je partage son point de vue peut-être pour avoir recueillie sans pouvoir rien y faire les paroles et pensées d’une personne très chère à mon cœur que je n’ai pas pu ( su ? ) aider à partir dignement sans souffrance. Je m’en veux.

Quelques extraits :

« il suffisait que je dise : raconte-moi, je t’écoute.

Mais je ne l’ai pas fait.

Longtemps je me suis demandé pourquoi.

Pourquoi je n’ai pas osé, finalement, aider mon père çà mourir.

Pourquoi je n’ai pas voulu entendre ma mère dire sa fatigue de vivre. » 

« Non.Je voudrais dormir.Vous ne m’entendez pas.

Je vous écoute mais…

Vous ne m’entendez pas

Elle m’a regardé droit dans les yeux.

Je voudrais rentrer.Chez moi. Et dormir.S’il.Vous.Plaît »

« Ce n’est ni la douleur, ni la dépression, ni la solitude.

C’est un sentiment plus pénible encore.

Celui d’en avoir assez.

Ëtre las d’être là. »

Martin Winckler ne situe pas ce roman dans l’espace ni le temps. Il y dénonce pourtant l’hypocrisie, l’acharnement, la méconnaissance ou tout simplement le bêtise devant la fin de vie et le courage de ces soignants qui écoutent et vivent au quotidien ces appels à l’aide, à l’humanité.

Roman prenant, sans doute dérangeant pour certains mais, il est primordial au XXI ème siècle d’arrêter de se voiler la face.

C’est une question nécessaire pour tous, nous-mêmes et nos proches.

C’est une déclaration pour le droit à mourir dignement, sans que la médecine et tout son clan ne s’acharne bêtement sur nous. Le droit de choisir.

Ce roman existe aussi en numérique 

Facebook, mon amour ! Eric Neirynck Ed.Omri Ezrati-Coll. Privée

Facebook, mon amour !
Eric Neirynck
Ed.Omri Ezrati-Coll. Privée

Facebook mon amour !

J’aime de plus en plus lire des recueils de nouvelles. Je trouve que c’est une bonne façon d’entrer dans l’univers d’un auteur. Et puis, je pioche au gré de mes envies une histoire par-ci par-là.

Facebook mon amour ! En compte 16, parfois très brèves.

Eric Neirynck les avait tout d’abord postées sur sa page Facebook. Ceci pour effacer de votre pensée toute idée qu’il puisse s’agir ici d’une publicité cachée pour ce réseau social.

Au cœur de ces textes, des hommes, des femmes, des beaux, des moches, des vieux, bref, l’humain.

Des histoires d’amour qui ne finissent pas toujours bien soit que nous en attendions trop, soit que nous en prenions peur. C’est la vie, et l’amour attend son heure sur internet ou dans la vie non « numérique », expression qui m’amuse empruntée à l’auteur.

Ça peut-être une attente tellement forte que cette rencontre ne trouve d’issue que dans la folie comme dans ‘La vieille’ qui je l’avoue m’a particulièrement émue.

Eric Neirynck extirpe les sentiments de cette galerie de personnages. Il les anime de doutes et d’espoirs. Il les place face à eux-mêmes en situation de devoir assumer, en partie au moins, leurs actions passées et / ou à venir.

Ce sont, via ce réseau, des quêtes d’aventures qui avortent faute de sincérité ou par lâcheté. Oui, l’amour ça peut foutre les chocottes, surtout quand le héros ou l’héroïne s’est auparavant bien ramassé. Vous qui me lisez, si vous côtoyez les réseaux sociaux ( twitter, FB, forum et autres ), vous savez bien, ( inutile de mentir je vous observe ), qu’il existe un grand nombre de personnes qui mentent sur eux-mêmes. Internet, c’est aussi le camouflage, s’inventer une vie qu’on n’a pas, et comme dans ‘Un jour de neige ‘ se retrouver comme un con, largué avant même le visu parce que la femme de l’autre côté aura pris peur elle-aussi.

C’est l’amour détruit par insouciance, manque de soin, qui finit par éloigner de vous le meilleur et vous mener dès la rencontre suivante vers un enfer.

C’est aussi beaucoup de bonheur lorsque la fusion des corps et de l’esprit est complète. Ce bonheur des débuts prometteurs quand on prend conscience du plus intime de son être comme dans ‘Epousailles’ très émouvante nouvelle de FaceBook mon amour !

Et puis d’autres ruptures, de celles qui vous laissent sur le carreau persuadé que jamais, non, plus jamais vous ne revivrez un tel amour. Ce sont des amours-cages qui vous guident vers un curé, comme vous iriez voir un psy.

Je ne vais pas vous détailler une à une ces nouvelles bien évidemment.

Sachez que même si beaucoup sont noires, l’auteur a une bonne dose d’humour comme dans ‘Imprudence’ et ‘Rencontre online’, vraiment ces deux là m’ont bien faite rire. C’est avec grand plaisir que j’ai donc renoué avec l’écriture d’Eric Neirynck  après l’avoir découvert dans Historietas, Les dix font le sapin et Le quadra génère ses propres angoisses. Beautiful érection ( tous trois chez Edicool éditions ). J’aime beaucoup l’écriture d’Eric Neirynck et cette sensibilité que je décèle en lui.

Et vous, quelles sont ou seront vos préférées ?

6 € 21 , livre papier chez Omri Ezrati

Editeur NumérikLivres Collection e-LIRE

Editeur NumérikLivres
Collection e-LIRE

Une journée de fou

Dès le début de cette Journée de fou j’ai compris qu’elle me marquerait pour longtemps.

L’angoisse est tapie derrière les mots, les longues phrases et encore accentuée par l’annonce d’un fait divers qui tourne en boucle. Le personnage m’est tout d’abord apparu comme une énigme. Pourquoi une telle angoisse ? Pourquoi vit-il ainsi sur le qui-vive ? Mais très vite, on comprend qu’il y a vraiment quelque chose en lui qui ne tourne pas rond. Si je voulais faire de l’humour je dirais que si justement, c’est une spirale infernale dans laquelle il est piégé.

Le récit de cette folie est tellement bien mené, que ma gorge se serrait à l’idée de ressentir ce que cet homme éprouve dans sa tête et par réflexe dans son corps. C’est grâce à la puissance des mots et la rythmique de l’écriture que Gilles Piazo ( également musicien ) attrape notre cœur, le serre à l’étouffer nous faisant vivre intensément cette journée de fou de l’intérieur de la tête de son personnage.

Peu à peu, j’ai découvert le comment de cette progression vers la folie au fil de scènes venues du passé, des bribes de souvenirs, des évènements passés inaperçus mais ayant gravé leur empreinte. Des flash back sur les ondes qui déboussolent : Est-ce la réalité ? Un cauchemar ? Une autre angoisse ?

Je ne dévoile plus rien sur ce magnifique roman. Je ne peux que vous conseiller vivement de le lire.

J’ai adoré l’écriture de Gilles Piazo, sa façon l’air de rien de nous amener à nous questionner, réfléchir à cette masse d’infos qui nous tombe dessus en permanence : leur impact sur des esprits déjà fragilisés, leur nécessité ou leur incongruité. Ces interrogations qui m’assaillent régulièrement, sans doute comme l’auteur : que penser d’une société qui contraint à l’isolement en créant la peur ?

J’espère vraiment avoir l’occasion de lire un autre roman de Gilles Piazo.

J’aime beaucoup son blog  ainsi que l’expérience collective de fiction web qu’il mène sur Les carnets du lotissement 

Je vous invite à lire un extrait de Une journée de fou sur le site de l’éditeur Numériklivres où vous pouvez également l’acheter pour 3 € 99.

Lisez également une interview de l’auteur sur le site de l’éditeur

Roman numérique téléchargeable sur les principales plateformes de téléchargements.

Editeurs NumérikLire

Editeurs NumérikLire

Après avoir perdu son logement, notre homme trouve refuge dans son bureau. Mais les affaires périclitent, les factures s’accumulent, les injonctions tombent noyant le bonhomme dans un quotidien de plus en plus oppressant. Il vit de nuit, passant ses journées reclus dans le noir, à ruminer ses sombres pensées pour échapper au destin qui se pointe inéluctablement. Il ne peut échapper aux créanciers. Le voilà à la rue avec pour seul refuge sa 205 rouge où il va apprendre à subsister tant bien que mal. Jeff Balek décortique les pensées intimes de son personnage oscillant entre le sentiment d’ivresse d’une nouvelle liberté, les craintes qui se saisissent de lui la nuit, le désir de tendresse, garder coûte que coûte sa dignité. Chaque jour, se réveiller perclus de douleurs, se contorsionner pour se changer, être si stressé que le sommeil est hâché en vagues successives. Ne trouver un semblant de repos qu’en jetant pêle-mêle sur le papier des mots, des phrases, autant de bouées de sauvetage.Parfois dans cette errance quotidienne, il aperçoit un ange, ou il découvre une beauté assassinée par les passants indifférents, blasés. Le regard des autres sur lui, un regard assassin, cruel et blessant.

Il essaye de trouver du boulot mais sans domicile c’est bien difficile. Il faut se résoudre à consulter le carnet d’adresses. Il faut vivre.

Il y a des romans qui prennent aux tripes tant ils expriment une réalité crûe en utilisant un langage à la fois direct et empreint de poésie. Jeff Balek avec Macadam Gonzo a produit cet effet sur ma lecture.

A priori, c’est une histoire banale. Des clodos, ont en voit chaque jour qui ont pour beaucoup vécu cette descente en enfer décrite par Jeff. Ça sent le vrai, c’est d’une sincérité presque désarmante, bref ce récit est à la fois une grosse baffe, un témoignage, l’espoir au bout du tunnel, un coup de talon pour remonter en surface. C’est une aventure humaine émouvante.

De façon assez étrange, Macadam Gonzo n’est pas  un roman déprimant. C’est une belle leçon d’humanisme surtout.

Macadam Gonzo de Jeff Balek édité par Numériklivres : 3 € 99 en vente, entre autre, sur L’immatériel

La version papier existe chez Lulu.com

au commencementetaitlavie

Au commencement était la vie  Joyce Carol Oates

Cet avis de lecture a été rédigé par mon amie,  Marie Chevalier, auteur, dont vous trouverez le blog dans les liens amis. Merci à elle !

 

Deux gamines seules avec un père ivrogne et très violent.

Un jour, il les bat plus fort que d’habitude et la petite de 6 ans succombe.

Kathleen, 11 ans est « tabassée » et transportée à l’hôpital dans un état très grave.

Elle va s’en remettre mais à quel prix !

Toute sa vie sera marquée par cet évènement. Elle sera aide-soignante par choix. Et quand elle croit avoir retrouvé la paix et qu’elle tombe amoureuse d’un jeune médecin, elle envisage enfin une vie normale.

Elle ne se remettra pas d’un acte insensé et terrible qu’elle fera. Elle « aidera » les patients à trouver la paix.

Elle avait vécu le pire dans sa chair. Elle pouvait maintenant passer à l’acte.

Horrible histoire, bouleversante et tragique et folle de cette gamine missionnaire du malheur et de la mort.

Du grand Joyce Carol Oates comme d’habitude mais aussi comme souvent « âmes sensibles s’abstenir »

Philippe Rey

Philippe Rey

« S’emparant d’un fait-divers, un mystère jamais résolu, qui bouleversa l’Amérique- l’assassinant le soir de Noêl 1996 de la petite JonBenet Ramsey, 6 ans et demi, célèbre mini-Miss vedette de concours de beauté-, Joyce Carol Oates reconstruit l’affaire qu’elle n’hésite pas à dénouer. »

Le narrateur de ce roman est Skyler, 19 ans aujourd’hui mais 9 lors de l’assassinat de sa soeur Edna-Louise rebaptisée Bliss par leur mère Betsey dans un accès de mysticisme . A travers ce témoignage, il tente de renouer avec le présent, pour cela il lui faut se souvenir.

Au départ il est seul, le petit homme de sa mère. Celle-ci ne travaille pas et n’a de cesse de se faire inviter par les plus nantis de la ville. Ayant pratiqué le patin à glace étant jeune, elle va essayer de mettre Skyler sur la glacemais il a peur. Bix, le père, toujours en voyage, cadre dynamique très apprécié par la gente féminine ne s’occupe que très peu de son fils. Quand arrive Edna-Louise, Betsey ne la considère que comme un fardeau jusqu’au jour où elle se rend compte des prédispositions de sa fille pour le patinage …elle renommera sa fille, Bliss. Dès lors la petite est retirée de l’école pour des cours à domicile et devient une bête à concours. La petite ne se sent exister aux yeux de sa mère qu’à travers le patin…le moindre échec devient alors une torture pour l’enfant qui culpabilise. Skyler mettra longtemps à l’aimer vraiment. Puis, il l’aidera souvent à cacher les pipis au lit, lui dessinera des petits coeurs à l’encre rouge que celle-ci lui réclame comme si son avenir en dépendait, en guise de protection.
Evidemment, nous savons comment l’histoire s’achève, la petite est morte mais qui donc l’a tuée ? Est-ce réellement ce maniaque qui se dénonce puis se suicide ensuite ou est-ce plus compliqué que cela ?

Joyce Carol Oates a écrit un roman suffocant où se télescopent le voyeurisme des médias, l’enfer familiale, l’ère de l’apparence et le désir d’être intégré, le poids des désirs de la mère et sa folie de devenir quelqu’un à travers sa fille

J’ai lu ce roman lentement car j’ai franchement eu mal pour les enfants, je n’avais qu’un souhait les enlever très vite de cette folie destructrice. Skyler passe les 10 années suivants le crime dans des hôpitaux, des écoles spécialisées hors de prix où il sera traité à grand coup de médicaments. Il y a cette profonde hypocrisie des différents psychologues et psychiatres qui n’hésitent pas à prescrire tout un tas de médicaments dès le plus jeune âge. Dans tout ça, le père n’a jamais tenu ses promesses, il est l’éternel absent ne tenant aucune promesse.

C’est un roman que je conseille vivement à tous ceux qui aiment les développements psychologiques.

Autrement Littérature

Dark island

L’histoire commence l’été des 16 ans de Shirin Wilson à Port Breton en villégiature. Shirin fascinée par l’île de Storn aime se réfugier seule dans une crique d’où elle peut la contempler. Cet été là, elle fait la connaissance de Venn, jeune héritier du domaine de Storn. Entre attraction et répulsion, les deux jeunes gens vont toutefois se rendre sur l’île.
Dix ans plus tard Venn et Shirin se retrouvent lors d’une soirée mondaine. Shirin est belle, intelligente mais pas si instruite que cela…pour moi c’est son intelligence de coeur qui est riche et désarmante à la fois.

Ils se marient sachant que bien des épreuves les guettent et la première la plus terrible pour Shirin sera de devoir renoncer à son amour pour Storn.

Je ne dirai rien de plus sur ce court roman qui m’a complètement charmée. Certains pourraient dire qu’il est « mièvre », pas moi car l’écriture de Vita est élégante, précise. Vita donne à Shirin une âme, un souffle puissant tourmenté par ses sentiments intérieurs.

Il fallait bien qu’un jour je lise cette auteure proche de Virginia Woolf que j’aime beaucoup.

Editions Liana Levi – Piccolo n°22
Paru le 01-11-2003 304 pages
Trad. de Michelle Herpe Voslinski
10,15 €

 

Dites leur que je suis un homme

Chez l’éditeur : Dans la Louisiane des années quarante, un jeune Noir, démuni et illettré, est accusé d’avoir assassiné un Blanc. Au cours de son procès, il est bafoué et traité comme un animal par l’avocat commis d’office. Si le verdict ne fait aucun doute, l’accusé, lui, décide de mener un combat pour retrouver aux yeux de tous sa dignité humaine.

Mes impressions :

Jefferson est un jeune noir accusé de meurtre . Il est défendu par un blanc. Au cours de son procès, il se fait traiter de porc, il n’est même pas un être humain. Il n’est pourtant pas coupable mais la justice est rendue par les blancs. Il ne se défend pas, personne ne le peut à cette époque. Il n’a plus qu’à attendre que la date de sa mise à mort soit fixée.

Sa nan-nan ( tante ) et la meilleur amie de celle-ci vont tout mettre en oeuvre pour qu’il décide de mourir dignement et faire disparaître l’affront des propos tenus au tribunal. Pour se faire, elles demandent à Wiggins, l’instituteur noir du village d’aller lui rendre visite en prison ainsi qu’au pasteur.
Wiggins est désemparé ne sachant que dire et quoi faire, cela le perturbe énormément, lui qui n’est pas croyant.
Nous assistons aux discussions entre Wiggins et Jefferson, les visites de la famille et le comportement abject des notables blancs.
Le moment où la chaise électrique arrive dans la petite ville est particulièrement bien décrit, chacun se rend compte du bruit qu’elle va faire, chacun est bouleversé à sa manière.
C’est un roman plein d’humanité sur la dignité et le courage.
Je vous le dis sincèrement, j’ai pleuré dans les dernières pages.

Editions Stock

La ballade du café triste

Amélia a grandi comme un homme. C’est une femme manuelle et renfermée, ne sachant finalement réellement communiquer avec autrui qu’en créant des procédures et parlant argent.

C’est au bout de deux ans qu’elle cédera aux avances de Marcy alors qu’il s’est bonifié, métamorphosé même. Elle est riche ce n’est donc pas l’argent qui lui fait accepter le mariage. Je me suis demandée si ce n’est pas son côté manuel justement qui l’aurait incitée à dire oui…je m’explique : au bout de deux ans Marcy change grâce à l’amour qu’il lui porte. C’est elle qui est à l’origine de ce changement, elle est guérisseuse.

Il n’y a pas eu de nuit de noces puisqu’elle descend au bout d’une demi-heure. Que s’est-il passé ? Je crois qu’elle refuse tout simplement le rapprochement charnel et qu’elle espérait plutôt un partenaire spirituel aux mêmes préoccupations qu’elle ( les affaires ). Marcy, l’éconduit, lui cède sa fortune mais elle ne demande rien, elle prend.

Et cette situation se reproduira avec cousin Lymon qui prendra à Amélia sans rien lui donner en échange que sa présence car  » il vaut mieux vivre avec son ennemi que seule «  dira Carson lorsqu ‘Amélia hébergera Marcy.

L’arrivée du nain m’a laissée perplexe. Il débarque et Amélia le fait entrer alors qu’il n’est probablement pas de sa famille comme il le prétend.

A mon avis rien de physique ne se passe avec cousin Lymon…si j’ai bien compris il y a deux chambres à l’étage et vous avez noté que l’auteur nous laisse dans le flou quant à ce qu’il peut s’y passer ?

Je me demande aussi si elle ne l’accepte pas parce que comme elle, il est différent. Elle va l’aimer à sa façon, c’est à dire en lui laissant les rênes du porte-monnaie en quelque sorte puisqu’elle se tient en retrait dans le café. Je crois que l’important pour elle est la confiance qu’elle place en lui, confiance qu’il bafouera en choisissant Marcy et en aidant même celui-ci à battre Amélia lors de la fameuse scène du combat final. Marcy et lui la détruisent en saccageant tous les efforts qu’elle avait fournis, et tout ce qu’elle avait construit de ses mains. Ils arrivent même à lui ôter son âme ( elle ne guérit plus et n’a plus de charité pour les malades ) Ils l’ont anéantie.

Alors dans me petite tête j’ai pensé à un complot mijoté par Marcy avec l’aide de Lymon. Marcy la prévient  » Avant de partir, il glissa sous la porte de Miss Amélia une lettre étrange, écrite mi-partie au crayon, mi-partie à l’encre- une lettre d’amour fou, qui contenait de violentes menaces.Il y faisait serment de se venger d’elle d’ici la fin de sa vie ».

Une bien belle ballade qui porte bien son nom. C’est triste, amère, désillusionnée mais l’écriture est terriblement efficace. Si vous ne connaissez pas cette auteure, découvrez là d’abord avec ce récit et ensuite plongez vous dans Reflets dans un oeil d’or.

1950, Niagara Falls ( d’où le titre ), haut lieu touristique. Ariah, 29 ans, vient d’épouser Gilbert. Ils sont tous deux presbytériens. Aux lendemains de la nuit de noces, Ariah se réveille seule dans la chambre d’hôtel. Désemparée, elle va errer dans l’hôtel et apprendre peu de temps ensuite qu’un homme s’est jeté dans les chutes. Durant sept jours elle va errer le long des chutes, on l’appellera la Veuve Blanche. Elle est persuadée d’être damnée. Dick Burnaby, brillant et riche avocat aux nombreux amis la suit comme son ombre. Il tombe amoureux d’elle qui n’est pourtant ni très belle ni de son milieu et l’épousera très rapidement. Ils vivront ensuite dix années de bonheur durant lesquelles ils auront trois enfants : deux garçons et une fille. Ariah ne se passionne que pour son mari et ses enfants, elle ne souhaite rien savoir ni même comprendre du monde qui l’environne.

1962 : Dick prend fait et cause pour une femme dont la famille et la maison ( durement acquise ) ont souffert des industries chimiques qui ont fleuri à Niagara Falls ( leucémies, fausses couches, empoisonnement du sol, allergies etc …) Il y perd ceux qu’ils pensaient être ses amis, beaucoup d’argent et se met à dos les notables. Une lutte acharnée débute , Dick ne s’en sortira pas indemne. Ariah lui tourne le dos, lui reprochant d’abandonner sa famille. Dick disparaît à son tour…Ariah élève les enfants seule en donnant des leçons de piano. Elle interdit aux enfants de parler de leur père, il les a abandonnés s’acharne-t-elle à dire. Ils passeront leur enfance à tenter d’en savoir plus, subissant les sautes d’humeur d’Ariah, mère possessive, entêtée, et névrosée.

1978: L’industrie chimique est punie lors d’un procès retentissant. Les enfants quant à eux chacun à leur façon auront découvert quelques parcelles de vérité concernant leur père. C’est aussi pour eux un grand moment car ce procès réhabilité Dick.

Mon avis Un roman fleuve ( avec quelques longueurs tout de même ) qui aborde pas mal de sujets : le puritanisme, les arrangements entre industriels, politiques et laboratoires. Au coeur de ce roman Ariah que je ne suis pas parvenue à aimer tout en lui trouvant des excuses dans son éducation et le traumatisme de son premier veuvage. Elle fait subir tant de choses à ses enfants, les obligeant à vivre dans le dénuement, les écrasant par son amour maternel vorace et intransigeant , leur interdisant de questionner sur leur père que j’étais choquée par sa conduite. Certains personnages auraient du être mieux expliqués comme cette femme en noire que Royall va croiser.

C’était la première rencontre avec cette auteure, sans doute pas la dernière. Une bien belle plume.

Actes Sud

C’est bien plus qu’un roman sur la délinquance sexuelle et l’exclusion ; c’est un roman sur l’hypocrisie, la perte d’identité. A travers l’histoire de Kid, Russell Banks déroule devant nous un univers sans pitié, misérable, et méprisant, un monde fait de culpabilisation , de fausse pudibonderie, de perte de soi.
Kid, avec son bracelet electronique à la cheville ne comprendra qu’en toute fin de roman qu’il lui reste malgré tout encore 10 ans à vivre ainsi dans l’exclusion, ces 10 années de mise à l’épreuve pendant lesquelles il n’aura pas accès à un logement car il ne doit pas résider près des écoles ou lieu public, et de plus n’importe qui : futur employeur ou bailleur peut connaitre en un clic son passé et sa condamnation. Kid a grandi quasiment seul avec pour compagnie un iguane ( d’où la photo de couverture) Sa mère ne se préoccupant guère de lui, il a commencé à traîner sur le net, de fil en aiguille sur les sites pornographiques. Sa condamnation a trois mois de prison, il la doit à un traquenard suite à un chat avec une jeune fille. Rien n’était prémédité, il ne pensait même pas réellement à ce qu’il pourrait faire si l’occasion de présentait. Le vice est là, dans ce piège qu’on lui a tendu. Kid m’a énormément touchée, attendrie et attristée
A sa sortie de prison Kid n’a pas la choix, il va rejoindre la cohorte des laissés pour compte sous le viaduc. C’est là qu’un professeur de sociologie, énorme qui prend toute la place, va aller à sa rencontre pour l’interviewer . Qui est Kid aujourd’hui ? pourquoi a t il été condamné ? Mais Alamasse comme kid surnomme le prof est il vraiment ici dans ce seul but ? N’a t il pas lui aussi un secret, une maladie ?
C’est tout au long du roman aussi l’occasion de s’interroger sur la place que prennent les nouvelles technologies, sur la place que l’individu puni peut encore trouver dans un monde déshumanisé et hypocrite.

Liana Levi-Piccolo

Une plantation non loin de Bâton-Rouge. James travaille sur la plantation de Marshall Hebert, riche blanc. Il conduit le tracteur pendant que d’autres emplissent la remorque de maïs. Ce jour-là Bonbon, le contremaître cajun, lui ordonne de conduire Marcus un jeune noir condamné à la prison chez lui pour récupérer des affaires et venir travailler. A Bâton-Rouge Miss Julie prie James de s’occuper de Marcus, James ne sait pas dire non. Marcus est égoiste, et s’habille comme un dandy.
Bonbon est marié à Louise qui ressemble à une enfant et ils ont une petite fille, surnommée Tite ( maladive). Mais Bonbon a aussi une maîtresse noire, Pauline avec qui il a eu des jumeaux. Pauline vit dans les quartiers noirs où Bonbon lui rend visite deux ou trois fois par semaines. Elle a obtenue de lui de travailler à la maison du maître.
Marcus ne veut pas rester 5 ans ici. Il fomente une vengeance, une évasion. Il n’est pas payé car logé et nourri. Lorsque les  » ouvriers  » achètent au magasin Marcus sait qu’il prolonge d’autant son travail dans la plantation.
Tout le quartier noir, guette, attend, et suit l’évolution des rapports humains tandis que la poussière vole partout et colle aux semelles. L’atmosphère est de plus en plus oppressante, et …je m’arrête là, à vous d’être curieux maintenant.

Demande à la poussière c’est l’histoire d’Arturo Bandini, 20 ans, qui débarque à Los Angeles plein d’espoir après la publication par Hackmuth de sa nouvelle  » Le petit chien qui riait  » . Il vit dans un hôtel minable, vivotant de l’argent qu’il sollicite auprès de sa mère, et de quelques sous reçus de journaux pour la publication d’une nouvelle. Concentré sur sa machine à écrire, il sue sang et eau, les lignes vont et viennent et rien n’en sort qui puisse convaincre. Il est torturé :

Parfois une idée flottait innocemment à travers la pièce. C’était comme un petit oiseau blanc.Il voulait seulement m’aider, ce cher petit. Mais moi je le frappais, je l’écrasais en martelant mon clavier et il expirait dans mes mains.

Il n’a pas d’argent pour se nourrir convenablement :

Intéressante innovation, ça, pêches et oranges. Je les déchirais à belles dents, je les mastiquais, le jus me vrillait l’estomac et gémissait là au fond. C’était si triste là en bas, dans mon estomac. Ça pleuraitbeaucoup,énormément même,avec des petits nuages gazeux vaseux qui me pinçaient le coeur.

Dans un bar, il rencontre Camilla Lopez, mexicaine, qui est serveuse et dès cette première rencontre s’installe entre eux un jeu étrange de séduction / répulsion. Il l’humilie, elle sous-entend son manque de virilité. Elle l’obsède

jusqu’à en oublier que j’étais pauvre, et sans la moindre idée pour une nouvelle

Le lecteur voit en Arturo un être bourré de contradictions, tour à tour généreux et haineux ( avec cette pointe de racisme dont il a souffert et se venge sur Camilla), parfois naîf, maladroit, un adolescent en pleine construction et aussi cette générosité dont il fait preuve dès qu’un cachet lui tombe du ciel.

John Fante décrit Los Angeles et les rêves perdus pour ces gens venus y finir leur jour au soleil mais en crevant la faim. C’est la poussière du désert du Mojave et c’est la poussière qui recouvre tout.

J’ai savouré ce roman. L’écriture de Fante est juste, il ne cherche pas à y faire de l’épate il décrit la réalité quotidienne et ce quotidien prend des aspects magiques sous sa plume. Les personnages y sont dépeints d’un regard tendre et ironique. J’ai oscillé entre le sourire et la tristesse, la compassion et la révulsion pour Arturo ( quand il se débat avec le racisme) J’ai admiré les pages où il relate la pauvreté dans cet Eldorado.

Vous l’aurez compris que j’ai beaucoup aimé

Editions Phébus – Littérature étrangère
Paru le 27/08/2009 – 348 p – 22.30 €
Traduit du turc par Valerie Gay-Aksoy

Une amie m’avait parlé de cet auteur, Elif Shafak, de façon tellement alléchante que, tout de suite, j’ai regardé dans les rayons de la bibliothèque si un de ses romans y figurait. C’est ainsi que j’ai eu le plaisir de  lire Lait noir.

J’avais déjà eu l’occasion de lire des romans sur le désir d’enfant mais encore jamais sur la dépression post-partum ( à ne pas confondre avec le baby-blues ).Dans ce roman, Elif Shafak s’interroge : une femme écrivain peut-elle avoir des enfants ? Les deux conditions, maman-écrivain, sont-elles conciliables ? Elle nous expose le dilemme auquel elle a été confronté, nous dévoilant de façon amusante ses personnalités intérieures qui se livrent une bagarre parfois intense. Ces petites bonnes-femmes à qui elle a donné des noms comme Miss Cynique intello, Miss Ego ambition, Miss Intelligence pratique, Dame Derviche, Maman Gâteau et Miss Satin Volupté ne l’aident pas toutes à résoudre ses interrogations, au contraire certaines se plaisent à la laisser en plein désarroi.

L’auteur cite des exemples d’auteurs ayant eu des enfants ou ayant  fait le choix de ne pas en avoir : Sylvia Plath, Zelda Fitzgerald, Doris Lessing, Virginia Woolf ,J.K Rowling …

C’est drôle et touchant, ça respire la sincérité. Ces petites femmes ne font pas toutes leur apparition en même temps parce qu’il faut du temps pour s’apprivoiser et se connaître. Il faut de l’audace pour  prendre le risque de laisser s’échapper de soi ce qui est encore inconnu et qui peut faire peur.

Elif restera prostrée dans la dépression durant 10 mois : le lait noir s’es tari. Un mauvais Djinn, celui des contes de son enfance turque, retient en otage les petits personnages intérieurs. Elle parviendra à le chasser en acceptant d’être telle qu’elle est sans s’ajouter de poids supplémentaires. Les super-mamans, les super-épouses, ça n’existe pas.

En lisant ce roman-essai-autobiographie, je me suis demandée comment les écrivains ( et plus largement les artistes ) parviennent à élever leurs enfants tout en se consacrant à leur passion. Franchement, ça ne doit pas être évident de s’octroyer du temps, surtout lorsque les enfants sont encore des bébés, à moins de pouvoir s’offrir une nounou ou d’avoir une place en crèche ? Mais lorsqu’on n’est pas encore (re)-connu l’argent ne doit pas couler à flot.

Une première rencontre positive pour ce qui me concerne, cependant comme il ne s’agit pas d’un roman à proprement parler, je lirai certainement un autre titre : La Bâtarde d’Istanbul ou Bonbon palace dont j’ai reçu de bons échos.

Editions Cap Bear

Commençons par situer la Baie de Paulilles, toute cette saga familiale s’y déroulant. Nichée entre le Cap Béar et le Cap Oullestrel, la baie de Paulilles se trouve dans les Pyrénées Orientales. C’est à Paulilles que fut créée par Gambetta en 1870  la première dynamiterie Nobel( dynamite et nitroglycérine).

Cette saga familiale racontée par Nicole Yrle est passionnante de part ce pan d’histoire qu’elle nous permet de découvrir et par l’épaisseur donnée aux différents personnages, ici des femmes.

Marine la petite fille, étudiante en archéologie, très attachée à Paulilles parvient peu à peu à travers l’album photo de sa grand-mère Maria à délier les langues et faire resurgir des pans du passé familial imbriqué dans l’Histoire. Les scènes entre la mère, Marion et sa fille sont très touchantes.

L’ usine Nobel, cette dynamiterie qui soutient tout un village, sous le joug parternaliste du patron est le personnage quasi central du roman. Il parait aujourd’hui incroyable que des hommes et des femmes aient pu à ce point risquer leur vie. D’ailleurs l’auteur souligne bien la reconnaissance tardive des risques liés au métier, avec l’introduction des gants par exemple ( grace à l’action d’une section syndicale ), gants que les ouvrières auront bien du mal à utiliser.
L’on suit avec stupeur l’arrivée des annamites escortés par des tirailleurs sénégalais. Annamites dont la traversée est épouvantable et l’accueil tout aussi épouvantable. Parqués et relégués aux travaux les plus dangereux.
Traversant la première guerre mondiale les femmes vont occuper les emplois rendus vacants par le départ à la guerre des époux. L’on suit avec émotion les retours en permission d’Augustin qui lui deviennent de plus en plus insupportable.
Les femmes se serrent les coudes. On traverse toutes les années jusqu’à nos jours avec les transformations du paysage, et des services qui disparaissent comme l’école à laquelle les anciennes étaient si attachée.

Marine, en archéologue, questionne et trouve des réponses qui parfois s’avèrent surprenantes.

J’ai appris beaucoup de choses en lisant ce roman: sur la « matière » et la fabrication des munitions, les bassins dans lesquels travaillaient les annamites, l’environnement de cette baie sur la côte vermeille tout cela servi par des images surgies de l’utilisation d’un vocabulaire riche et expressif. Tout est décrit avec finesse, précision sans aucune mièvrerie. Les destins fauchés net par la mort au front ou dans l’usine, les amours, les naissances et la solidarité des ouvriers de l’usine. Tout est intéressant pour un final qui est profondément humain.

J’ose l’avouer sans complexe, j’ai presque été triste de quitter toutes ces femmes et la baie de Paulilles.

Un grand merci Nicole Yrle pour ce beau témoignage, cette superbe histoire de femmes, cette quête du passé pour le réhabiliter

C’est un jeune homme parcourant la campagne chinoise qui va recueillir l’histoire d’un vieil homme, Fugui Xiu. Il est fils de propriétaire terrien. Il est mariée à Jiazhen avec qui il a eu une petite fille de 3 ans, Fengxia. Ils attendent un deuxième enfant. Ils vivent sous le même toit que les parents de Fugui.Fugui est dépensier, un «  fils indigne  » comme dit son père. Il fréquente les maisons closes et se met à jouer tant et si bien qu’il finit par ruiner sa famille. Son père hypothèque alors la maison et les terres. Fugui devra porter les sapèques à la ville chez Long’er.

Fugui comprit le message de son père :

Brusquement, je compris pourquoi mon père avait commandé des sapèques et non pas des pièces d’argent. Il voulait m’enseigner une vérité, me faire sentir combien l’argent était difficile à gagner. Cette idée me coupa les jambes. Accroupi au bord de la route , je me remis à sangloter en hoquetant, secoué jusqu’au bas du dos.

Fugui réclame 5 mou de terre à Long’er pour que sa famille puisse subsister. Fugui travaille durement sur la terre. Son père est mort et sa mère est au bout du rouleau.Jiazhen accouche d’un fils, Youqin et revient au domicile lorsque celui-ci a 6 mois.Devant l’inconscience de son gendre et le méprisant pour la ruine qu’il a provoquée, le père de Jiazhen vient la reprendre laissant Fengxia à la garde de son père. La famille doit quitter le domicile car Long’er en prend possession.

Mais bientôt la mère de Fugui tombe malade, il part en ville quérir un médecin…et là tout dérape. Il se fait embarquer par les soldats du Kuomintang. Lorsqu’enfin il pourra revenir chez lui, sa mère est morte et sa fille a été frappée par une maladie.

Curieusement, c’est la perte de leurs biens qui sauvera la famille. Long’er est fusillé en tant que propriétaire. Pauvres, Fugui et Jiazhen envoient leur fils à l’école et cherche à placer Fengxia. Puis c’est le collectivisme ( cantines, travaux des champs ) et les réquisitions, y compris le mouton de Youqin.

Et là s’arrêtera mon petit compte-rendu car je ne peux en dévoiler plus sans trahir le roman et les évènements qui vous y attendent. Je me demande même si je n’en ai pas déjà trop raconté. Vivre c’est ce qu’il reste au bout du compte, malgré les échecs, les deuils, et les déceptions.

Ce livre est moins intense que Brothers pourtant Yu Hua a réussi de nouveau à m’amener les larmes aux yeux.

Une belle façon de connaître la Chine et les vagues politiques successives.

 

Qu’il est difficile de trouver les mots justes pour écrire sur Brothers. Ce roman de presque 700 pages est d‘une rare et précieuse intensité.

Yu Hua place le décors de son livre dans le bourg de Liu. Ainsi parcourons nous de la révolution culturelle à aujourd’hui, les rues du bourg de Liu et la transformation progressive de son paysage et de ses habitants

Song Gang et Li Guangtou sont demis-frères….Li Lan est la mère de Li Guangtou et Song Fanping celui de Song Gang. Le livre commence part une scène très drôle ( Rotko en a mis en extrait plus haut ).
Song Gang est discret, effacé face à Li Guangtou qui n’aime rien tant que saisir l’occasion de regarder en cachette les fesses des filles et jouer avec sa » libido « .
Tous les personnages sont décrits avec grand soin et auront leur importance tout au long de ce long roman.
Song Fanping, le père, est une force de la nature, un grand gaillard qui n’en reste pas moins un coeur doux et généreux qui par tous les moyens veut protéger sa famille. Il a un grand sens de l »honneur et des responsabilités. Li Lan , celle qui souffrit tant de son premier mariage découvre la tendresse, l’amour et la sérénité…Hélas voilà que la Révolution culturelle va bouleverser le petit bourg de Liu.

Ce passage est un raz -de- marée dans le bourg. La cruauté, l’avarice, la petitesse s’installent et les mots de Yu Hua sont terriblement justes. Ce n’est pas tant la dureté de certaines scènes que de se sentir emplie de compassion pour la détresse de certain(e)s qui m’ont fait pleurer comme une fontaine. Des scènes de violence, de dureté, de sang, j’en ai lues beaucoup mais aucune n’a pu (su) comme Yu Hua sait si bien le faire me prendre aux tripes et provoquer cette communion de lecteur avec les personnages.
Song Gang et Li Guangtou doivent grandir , se perdre et se retrouver. L’un s’efface, l’autre nourrit sa revanche. L’un subira toute sa vie les conséquences de promesses faites, l’autre en profitera sans vergogne.
Et puis finalement, le destin et l’acharnement vont avoir des résultats et provoquer des retournements pour les deux frères.

L’argent tient une grande place dans ce livre…son manque ou sa profusion, les conséquences d’un état comme l’autre sont profondes.

Et puis, les sentiments et non la sensiblerie car Yu Hua a su très bien contourner ces  » travers ».

C’est avec beaucoup de finesse, d’humour et d’émotion que Yu Hua s’exprime.

Si vous êtes rebutés par le langage brut , ce livre ne vous plaira peut-être pas mais pourquoi ne pas essayer ?

Voilà j’ai reposé le livre que j’avais emprunté à la bibliothèque. Je veux l’avoir dans ma propre bibliothèque, c’est un chef d’oeuvre …je suis étonnée qu’il ne soit pas encore adapté au cinéma.

Dans l’édition d’Actes sud les notes de fin de volume sont utiles à la compréhension du contexte historique et aux différentes allusions aux légendes et courant artistiques

 

Histoire de vous donner envie, un extrait en début de livre

De nos jours, des fesses de femmes nues, on en voit partout, à la télévision, au cinéma, dans les VCD ou les DVD,dans les publicités ou dans les magazines, sur les stylos à bille ou les briquets… Des postérieurs de toutes sortes, des postérieurs d’importation ou des postérieurs de fabrication chinoise ; des blancs, des jaunes, des noirs et des bruns ;des larges, des étroits, des gros et des maigres ; des lisses et des rugueux ; des jeunes et des vieux ; des faux et des vrais. On n’a que l’embarras du choix, et une paire d’yeux ne suffit pas pour tout regarder. De nos jours, les fesses d’une femme à poil, cela ne vaut plus rien : il suffit de lever la tête pour en voir une paire, on a à peine le temps d’éternuer qu’on tombe sur une deuxième, et on n’a pas sitôt tourné le coin de la rue qu’on risque de marcher sur une troisième. Mais en ce temps-là, il n’en allait pas de même. C’était un trésor que personne n’aurait échangé contre tout l’or du monde, et il n’y a qu’aux toilettes qu’on pouvait espérer en mater une.
Si vous l’avez lu aussi, votre avis m’intéresse, aussi n’hésitez pas à commenter

Editions Cap Bear

C’est une histoire de famille, celle d’Henriette et Joseph, leurs enfants et petits-enfants. C’est une histoire qui commence sur un drame sur la plage Saint Vincent, les corps d’Henriette et Joseph sont retrouvés noyés et liés par les poignets. Que s’est-il passé ? Qui aurait pu avoir envie de les éliminer ? Comme à chaque fois qu’un corps est découvert, une enquête est ouverte. Nicole Yrle peu à peu à petites touches intimistes et poétiques nous invite à visiter l’univers de ce vieux couple : leur passé ( l’occasion d’en connaître plus sur leur us et coutumes ), la lente érosion de leur présent, leurs doutes, leurs espoirs.
J’ai retrouvé avec bonheur la plume de Nicole Yrle entretenant ce souci des personnages et de leurs pensées intimes, les détails de la vie quotidienne, qui dans ce roman tient une très belle et poignante importance. Tout, des paysages aux coutumes, est soigneusement dépeint comme une carte postale complétée de senteurs et des sons.

Un beau roman qui renvoie au droit des personnes à disposer d’eux-même.