La solitude de l’ours polaire
« C’est moi qui lui avais mis ça dans la tête : la voir faire ça avec Hawaii Fender …» Cette simple phrase de Louis-Stéphane Ulysse plonge d’entrée le lecteur dans l’ambiance de ce roman. Cet homme vit cette obsession jusqu’à ce que sa femme l’accepte, peut-être par renoncement tout simplement, car elle ne formulera pas le « oui ». A partir de là, j’ai senti que tout allait devenir inéluctable. A l’hôtel où loge Fender, le mari reste devant la porte, à écouter les bruits émis dans la chambre, des sons qu’il n’a jamais entendus de son épouse. Et le fossé va se creuser entre eux-deux, rien ne sera plus comme avant. « Je me cogne contre les murs, je me déchire dans la boue… »
Etonnant aussi l’espace dans lequel évoluent les personnages. Une ville qui ressemble à un dépotoir, à un ghetto, se dépeuplant au fur et à mesure du récit.« A travers les vitres, les rues se ressemblaient toutes ; jungle concrète privée de vie, trottoirs déserts, immeubles trop hauts… »
On sent qu’une tragédie a eu lieu sans doute bien au-delà du seul réchauffement climatique, en résultant peut-être.
Le malaise va crescendo suivant les descriptions de plus en plus précises de l’auteur dont celle de cet ours polaire isolé sur cet iceberg dérivant que la foule de curieux espère apercevoir.
Hawaii est aussi un personnage surprenant, qui fera un séjour en prison sans que nous ne sachions autre chose qu’il portait un tablier sali de sang. Le narrateur le retrouvera et ils se côtoieront à nouveau dans une église en ruine devant l’autel couvert de bougies, sans se parler pour autant.
C’est une lecture qui m’a désarçonnée.L’écriture de Louis-Stéphane Ulysse est très imagée, et poétique. Il parvient dans ce texte pourtant court à faire émerger beaucoup d’interrogations, de réflexions sur la solitude bien sûr, la lente dérive des sentiments humains, la peur de l’abandon et dépeint par petites touches une vision de l’avenir de notre planète, une vision apocalyptique.
Une extrait qui m’a beaucoup émue, le narrateur s’exprimant après la perte de son épouse.
« Bien sûr, on a inventé les mots et, bien sûr, les supports ne manquent pas pour les dires, les écrire, mais rien n’existe vraiment pour sortir ceux qui sont en nous quand il y a le vide de l’absence…Et quand bien même on finirait par pouvoir sortir ces mots de notre corps, une fois seul, il n’y aurait aucun changement, parce que cette douleur-là ne se partage pas. »
La bande son accompagnant ce magnifique texte est de Caroline Duris. Elle donne encore plus de profondeur aux mots de Louis-Stéphane Ulysse. Les émotions ressenties à la lecture sont musicalement imagées.
Merci à Franck-Olivier Laferrère qui m’a permis de lire ce récit.
Récit inédit / Livre numérique augmenté tous supports / ISBN : 979-10-92243-02-4 / ©E-FRACTIONS EDITIONS/LSU-mars 2013 Le site
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Illustration de pwcca