Ça se déroulait toujours de la même manière. Une voix appelait sur mon cellulaire, tard le soir ou tôt le matin. Elle demandait à me rencontrer en tête-à-tête. Et donnait la phrase rituelle : « En souvenir d’André. »
Je me rendais à l’adresse indiquée et là, je rencontrais un homme, parfois seul, parfois avec une autre personne, de son âge ou plus jeune. On ne faisait pas de présentations. Ils connaissaient mon nom, ils m’avaient donné leur prénom. Lorsque le malade souffrait trop, l’autre personne était là pour m’expliquer. Je l’arrêtais très vite.
« Je vais d’abord m’occuper de la douleur. »
Le roman s’ouvre sur le narrateur à qui un organisme remet un dossier médical. Dans celui-ci il prend connaissance de la maladie de la personne qu’il va peut-être, s’il le choisit, aider à se suicider thérapeutiquement. Rien ne l’y contraint. Ce dossier lui donne l’assurance que ce malade est sain d’esprit que que par trois fois, à trois médecins, il a réaffirmé son désir d’en finir avec la vie.
Il s’agit de l’entretien entre cette lui et l’homme qui lui demande l’accompagnement vers la mort. Sous forme d’un long entretien, dans lequel le patient dévoilera les carnets qu’il a tenus toutes ces années concernant l’aide apportée aux personnes résolues à mourir dignement et sans souffrance, Martin Winckler comme à son habitude nous titille les neurones et l’humanité.
C’est un sujet qu’il connaît bien et qu’il défend depuis de longues années.
Puissant et profondément humain, un sujet qui dérangera sans doute mais qui devrait pourtant être au cœur du soin, et de la médecine, tout comme le traitement de la douleur chez le nourrisson est enfin pris en compte.
Cela ne s’arrête pas là, car Martin Winckler nous réserve une surprise et non des moindres.
Tout ce roman n’est qu’amour et respect. Il ne m’a personnellement pas dérangée car cela fait de longues années que je partage son point de vue peut-être pour avoir recueillie sans pouvoir rien y faire les paroles et pensées d’une personne très chère à mon cœur que je n’ai pas pu ( su ? ) aider à partir dignement sans souffrance. Je m’en veux.
Quelques extraits :
« il suffisait que je dise : raconte-moi, je t’écoute.
Mais je ne l’ai pas fait.
Longtemps je me suis demandé pourquoi.
Pourquoi je n’ai pas osé, finalement, aider mon père çà mourir.
Pourquoi je n’ai pas voulu entendre ma mère dire sa fatigue de vivre. »
« Non.Je voudrais dormir.Vous ne m’entendez pas.
Je vous écoute mais…
Vous ne m’entendez pas
Elle m’a regardé droit dans les yeux.
Je voudrais rentrer.Chez moi. Et dormir.S’il.Vous.Plaît »
« Ce n’est ni la douleur, ni la dépression, ni la solitude.
C’est un sentiment plus pénible encore.
Celui d’en avoir assez.
Ëtre las d’être là. »
Martin Winckler ne situe pas ce roman dans l’espace ni le temps. Il y dénonce pourtant l’hypocrisie, l’acharnement, la méconnaissance ou tout simplement le bêtise devant la fin de vie et le courage de ces soignants qui écoutent et vivent au quotidien ces appels à l’aide, à l’humanité.
Roman prenant, sans doute dérangeant pour certains mais, il est primordial au XXI ème siècle d’arrêter de se voiler la face.
C’est une question nécessaire pour tous, nous-mêmes et nos proches.
C’est une déclaration pour le droit à mourir dignement, sans que la médecine et tout son clan ne s’acharne bêtement sur nous. Le droit de choisir.
Ce roman existe aussi en numérique